Affaire Intel : que retenir de l’avis de l’avocat général ? (par Frédéric Cavedon, ADEKWA Avocats Lille)

 

 

 

L’avocat général Nils Whal invite la Cour de justice de l’Union européenne à adopter la théorie des effets « qualifiés »  pour déterminer la compétence territoriale de la Commission européenne dans l’application des règles de concurrence.

 

 

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|  par Frédéric CAVEDON, Avocat associé  |

 

 

Lavocat général Nils Wahl vient de rendre ses conclusions dans l’affaire qui oppose Intel Corporation Inc. à la Commission européenne dans le cadre du pourvoi formé par le fabricant américain de microprocesseurs à l’encontre de l’arrêt rendu le 12 juin 2014 par le Tribunal de l’Union européenne. On se souvient qu’aux termes de cet arrêt le Tribunal a rejeté dans son intégralité le recours d’Intel dirigé contre la décision de la Commission européenne du 13 mai 2009 l’ayant condamnée à une amende de 1,06 milliards d’euros pour infractions aux règles antitrust européennes. Etaient plus particulièrement visées les infractions relatives à l’abus de position dominante, par le recours à des pratiques anticoncurrentielles illégales visant à exclure les concurrents du marché des puces informatiques « processeur x86 ».

 

 

Au terme d’une analyse particulièrement stimulante à plus d’un titre, l’avocat général propose d’accueillir le pourvoi en retenant cinq des six moyens d’annulation invoqués par Intel, tout en suggérant le renvoi devant le Tribunal, estimant que l’affaire n’est pas en état d’être jugée définitivement par la Cour. Il relève en effet que la décision au fond à intervenir dépend d’une appréciation de l’ensemble des circonstances de l’affaire et, le cas échéant, de l’effet réel ou potentiel du comportement d’Intel sur la concurrence dans le marché intérieur, question qui implique à son tour une appréciation des faits que le Tribunal est mieux placé pour effectuer.

 

 

L’exposé de l’avocat général est si foisonnant qu’il n’est pas possible d’en faire une synthèse lisible en quelques lignes. Un moyen, le cinquième, mérite cependant une attention toute particulière. Il a trait à un élément fondamental concernant le champ d’application dans l’espace des règles européennes de compétence, question débattue de manière récurrente depuis des décennies. Comme l’indique l’avocat général lui-même, cette affaire fournit opportunément à la Cour l’occasion de clarifier les précédents jurisprudentiels procédant de la célèbre affaire « ICI », développée ultérieurement dans la non moins fameuse affaire « Pâte de bois », à propos de ce que certains ont parfois qualifié, improprement, d’application « extraterritoriale » du droit européen de la concurrence.

 

 

Partant du constat que la jurisprudence de la Cour montre que l’application du droit de l’Union européenne est subordonnée à un lien de rattachement suffisant à son territoire et ce, en conformité avec le principe fondamental de « territorialité » découlant du droit international public, l’avocat général souligne néanmoins, au titre de ses observations générales, que si le critère de la « mise en œuvre » développé par la Cour dans l’affaire « Pâte de bois » constitue un élément déterminant permettant de constater la compétence de la Commission européenne pour appliquer les règles de concurrence de l’Union, celui-ci n’a pas été érigé par la Cour comme seul et unique critère de compétence valide. Ce faisant, il rejette l’argumentation développée par Intel selon laquelle seules les ventes effectuées directement dans l’Union par l’entreprise en cause peuvent être considérées comme satisfaisant au critère de la mise en œuvre au sens de l’arrêt « Pâte de bois ».

 

 

 

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Reste désormais à savoir si la Cour suivra l’analyse et les recommandations de l’avocat général…

 

 

Une telle position se comprend aisément car si la « mise en œuvre » devait être considérée comme le seul critère d’attribution de compétence susceptible de déclencher l’application des règles de concurrence de l’Union, celles-ci ne seraient pas en capacité d’appréhender certains types de comportements qui n’auraient pas moins pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser la concurrence dans le marché intérieur, comme par exemple un refus de vente ou un boycott. Outre qu’une telle interprétation des articles 101 et 102 du Traité sur l’Union européenne serait contraire à leur libellé, ce serait l’effectivité et l’efficacité même de leur mise en œuvre qui seraient remises en cause.

 

 

Bien que considérant que le cadre juridique appliqué par le Tribunal n’encourt pas la censure, l’avocat général n’en fustige pas moins l’application que ce dernier en a fait. En substance, il lui reproche de s’être désintéressé du comportement unilatéral d’Intel, et donc de l’abus allégué, pour se focaliser sur le comportement d’un client sur un marché en aval dans le but d’établir un élément de rattachement au territoire de l’Espace économique européen. Or, comme il le souligne, le comportement illégal est constitué non par la vente d’ordinateurs portables, de surcroît par un tiers, mais par l’exclusion d’un concurrent, en l’occurrence AMD, du marché des produits en cause (CPU). De même, il lui reproche d’avoir considéré que les effets dans l’Espace économique européen des comportements incriminés seraient à tout le moins potentiels, commettant ainsi une application juridique erronée du critère des effets « qualifiés » qui implique, selon lui, que les effets dans le marché intérieur soient suffisamment importants pour justifier que la Commission européenne se déclare compétente, à savoir un effet anticoncurrentiel direct ou immédiat, substantiel et prévisible.

 

 

Il n’exclut pas que tel pourrait le cas de l’abus allégué, mais encore faut-il que cela résulte d’un raisonnement juridique approprié, ce qui n’est pas le cas au stade de la décision critiquée. Il reste désormais à savoir si la Cour, qui statuera dans les six mois, suivra l’analyse et les recommandations de l’avocat général. Affaire à suivre…

 

 

 

 

 

ADEKWA Avocats, cabinet d’avocats à Lille, Douai, Valenciennes, Cambrai et Bordeaux