Grand Entretien x Pierre GATTAZ

 

 

[L’INTERVIEW]

 

PIERRE GATTAZ

 

« FAIRE DE LA FRANCE LE GRAND PAYS

QU’ELLE N’AURAIT JAMAIS DÛ CESSER D’ÊTRE »

 

 

 

PG (Baptiste Giroudon)

 

 

Dans le sillage de son père Yvon, Pierre Gattaz mène un quotidien rythmé par les plus hautes sphères du monde du travail. Depuis 1994, il dirige l’entreprise familiale Radiall, aujourd’hui portée à l’international. En juillet 2013, il est élu président du Medef et acquiert une notoriété décuplée pour porter ses idées. Homme de terrain conquérant, il n’hésite pas à monter au créneau pour afficher ses ambitions et faire entendre ses positions. Rencontre exclusive avec le patron des patrons.

 

Pierre Gattaz, quelles sont les mesures à adopter pour assouplir les relations parfois tendues entre employeurs et salariés ? 

Il faut sortir le dialogue social de son formalisme, avoir un dialogue constant avec les salariés et leurs représentants et adopter de part et d’autre un langage de vérité, responsable et pragmatique.  C’est la meilleure façon de prendre les problèmes à bras-le-corps sans perdre de temps. L’accord que nous avons signé avec trois syndicats sur les retraites complémentaires montre qu’il existe un dialogue social responsable et constructif.  C’est d’ailleurs  souvent le cas dans les petites entreprises où l’on discute directement des problèmes, des évolutions nécessaires. En règle générale, il faut que les discussions aient lieu au plus près du terrain car chaque entreprise est un cas unique.

 

Quel regard portez-vous sur le «choc de simplification» ?

C’est une excellente initiative, nécessaire et salutaire, il en va de  la qualité de notre  service public et de l’efficacité de notre économie. Une société complexe comme la nôtre ne peut pas  s’accommoder d’un fonctionnement complexe, illisible, rigide, ou alors c’est la paralysie assurée, avec à la clé le découragement, l’absence de motivation.  Le fonctionnement de la  société a changé, les nouvelles technologies ont rendu les démarches plus faciles, plus rapides, les intermédiaires moins nécessaires, les gens plus autonomes… Il faut développer ce mouvement qui responsabilise les usagers. Et c’est une source d’économies considérable. C’est la même chose pour notre économie. Le nombre et la complexité des normes sont une perte de temps, surtout pour les PME qui n’ont pas les moyens matériels et humains de décrypter les exigences administratives. Il faut simplifier l’environnement des entreprises, libérer l’énergie des entrepreneurs afin qu’ils puissent se consacrer totalement au développement de leur entreprise et leur donner les moyens de créer de la croissance et d’embaucher.

 

 Quels sont, selon vous, les apports de la loi Macron avec les nouvelles dispositions qu’elle engendre ?

La loi Macron, que nous avons saluée, est un signe encourageant. C’est une prise de conscience certaine des difficultés des entreprises, même si l’on peut regretter que tout cela soit trop lent et ne s’inscrive pas dans une stratégie d’ensemble. Je regrette notamment que les dispositions sur le travail du dimanche aient ajouté de la complexité et des contraintes,  en contradiction même avec la mission du Conseil de la simplification. Il faut aussi revenir sur le plafonnement des indemnités aux prud’hommes qui a été censuré. Il est urgent de trouver une solution à cette situation qui nourrit  la défiance des chefs d’entreprise et se révèle un frein à l’embauche. 

 

 

« En ce qui concerne les 35 heures

je crois  qu’une durée légale,

la même pour tout le monde,

n’est plus pertinente… »

 

 

 En quoi la notion des 35 heures peut-elle être un obstacle à l’emploi ?

En règle générale, et tout le monde le dit, on ne travaille pas assez en France. On ne travaille pas assez par semaine, par an et sur une vie. En ce qui concerne les 35 heures je crois  qu’une durée légale, la même pour tout le monde n’est plus pertinente. La loi doit fixer la durée maximum de travail par semaine ou par an qu’un salarié ne doit pas dépasser. Mais pour le reste, il faut redonner de la flexibilité à l’entreprise. Avec la révolution technologique, les modes de travail évoluent, l’organisation du travail également. Laissons les entreprises s’organiser en fonction de leur activité, donnons-leur la possibilité de négocier le temps de travail avec les salariés ou leurs représentants, ce qui suppose un dialogue social de qualité car pour négocier il faut être deux. Quant à savoir si les 35 heures sont un obstacle à l’emploi, oui bien sûr, car pour créer de l’emploi il faut de la croissance et le temps de travail est un facteur de croissance. Surtout on ne redira jamais assez combien la loi sur les 35 heures a été destructrice pour notre pays, un poison à diffusion lente qui a répandu  l’idée que le travail est une aliénation et une souffrance… 

 

 Mais que répondez-vous à ceux qui estiment que les évolutions qui s ‘annoncent sur le front de l’emploi entraîneront une diminution de la protection des salariés ?

Que veut-on au juste ? Surprotéger les « insiders » qui ne risquent rien  ou créer de l’emploi et embaucher les « outsiders » ? Les évolutions du Code du travail, qui n’en sont qu’au stade de l’étude, ne sont pas une menace pour les salariés puisqu’elles ne concerneraient ni le temps de travail, ni le contrat de travail, ni le Smic.  En revanche, tous les organismes internationaux, tous les économistes, notamment le prix Nobel d’économie, Jean Tirole,  font le même constat : la rigidité du marché du travail, donc le statu quo,  est un facteur de chômage, un frein à l’emploi dont les demandeurs d’emploi et particulièrement les jeunes sont les premières victimes. Il faut alléger notre législation du travail et mettre un terme à l’inflation législative dans le domaine du droit social, à l’origine de contentieux innombrables qui génèrent la peur d’embaucher chez les patrons. Ce n’est pas l’acte d’embauche qu’ils craignent, c’est plutôt de ne pas avoir la souplesse nécessaire pour pouvoir s’adapter rapidement aux aléas du marché, de devenir moins compétitifs, d’être contraints de licencier avec les incertitudes de la justice prud’homale.

 

Golden hellos, parachutes dorés, retraites chapeau… Autant de notions qui heurtent par leur grandeur nos concitoyens les plus modestes. Comment les justifier ? 

Il n’est pas anormal qu’une entreprise,  une société ou un groupe  « récompense » son manager  à proportion du travail effectué, du résultat obtenu et du  temps passé dans l’entreprise  et en prenant en compte la santé  de l’entreprise. Tout est question de mesure et cela doit  rester dans les limites du raisonnable, sachant que chaque cas est particulier. Nous sommes pour la transparence, c’est pour cette raison que nous avons créé en 2013 le Haut Comité de  gouvernement d’entreprise  qui veille au respect de l’application des principes et des recommandations édictés par le Code Afep-Medef sur le gouvernement d’entreprise, qu’il s’agisse de la composition du conseil d’administration, des rémunérations, de la stratégie. C’est une institution qui n’a pas d’équivalent en Europe et ses recommandations  ont été appliquées par la grande majorité des entreprises françaises en 2014. Cela montre l’efficacité du code Afep-Medef, l’un des plus exigeants au monde, plus dissuasif  à coup sûr qu’une loi.

 

 Que pensez-vous du phénomène Uber ? Assistons-nous à une « ubérisation »  globale de notre économie ?

Le phénomène Uber n’est que la partie émergée d’un mouvement qui va aller en s’amplifiant et les entreprises qui ont bâti leur prospérité sur la préservation de la rente ont du souci à se faire. Qu’il s’agisse d’Uber dans les transports, d’Airbnb dans le tourisme, de Lending Club dans la finance ou de Zillow dans l’immobilier, tous court-circuitent les structures classiques et font sortir de nulle part des plateformes reliant directement fournisseurs et consommateurs. Le numérique est à la fois un marché prodigieux en très forte expansion et un facteur de compétitivité important pour nos entreprises. Mais pour réaliser ces gains de compétitivité, il est indispensable de repenser notre cadre réglementaire, notre droit du travail et notre fiscalité. Avec la révolution numérique, nous rentrons dans l’ère du collaboratif, du participatif. Notre droit du travail doit évoluer vers un droit de la relation professionnelle. Notre fiscalité doit, elle aussi, s’adapter pour favoriser les investissements et la création de valeur. Il faut sanctuariser le Crédit impôt-recherche et adopter une fiscalité plus attractive pour les jeunes talents, pour les entrepreneurs et pour les investisseurs. Mais ne nous leurrons pas, si la révolution numérique créera des emplois, elle en détruira aussi, notamment dans les entreprises qui n’ont pas su faire évoluer leur business model suffisamment tôt. Nous travaillons  au Medef à la mise en place d’un réseau de consultants capables d’accompagner les TPE, PME pour les aider à élaborer et à mettre en œuvre une stratégie de transformation numérique. Parallèlement, il faut mettre en place des stratégies d’éducation, de formation, de recherche. Mettons tous les atouts de notre côté, et nous n’en manquons pas, pour relever les défis que soulève cette révolution à l’échelle planétaire.

 

 

« Actuellement, la moitié des jeunes Français

de 18 à 24 ans ont envie de créer leur entreprise »

 

 

Dans ce contexte, est-il plus difficile de créer une entreprise aujourd’hui ? Comment encourager les initiatives ?

Non, c’est plus simple qu’auparavant grâce aux mesures proposées par le Conseil de simplification dont certaines sont entrées en application. Mais c’est après que les choses se  compliquent, avec les fiches de salaire à rallonge (quatre lignes au Luxembourg, une dizaine en Suisse, une trentaine en France), le maquis réglementaire et fiscal chronophage, la complexité du Code du travail. Heureusement l’envie d’entreprendre est plus forte, surtout chez les jeunes. Actuellement, la moitié des jeunes Français de 18 à 24 ans ont envie de créer leur entreprise. Et cette tendance va aller en s’amplifiant avec la révolution numérique à l’origine de la création de nombreuses start-up qui sont et vont être des relais de croissance. Ne décourageons pas les entrepreneurs et engageons rapidement les réformes nécessaires. La législation du travail doit être moins rigide,  plus simple et sécurisée juridiquement. La fiscalité  doit être  compétitive et maitrisée et la réglementation doit être simplifiée. Il faut baisser fortement et durablement les prélèvements obligatoires qui brident le dynamisme des entreprises et qui atteignent 45 % du PIB, quasiment le plus haut niveau d’Europe.

 

Quelles sont les qualités humaines nécessaires d’un responsable d’entreprise ?

En premier lieu l’éthique bien sûr, c’est la base de tout. C’est le respect de la parole donnée, dans le cadre d’un contrat s’il existe et toujours dans le cadre du respect de la loi. L’exemplarité, ensuite, qui suscite la confiance et donne une vraie crédibilité à l’action que l’on propose. Le pragmatisme est aussi fondamental dans la gestion d’une entreprise. Être pragmatique, c’est travailler avec des faits et des chiffres. Et donc appliquer ce qui marche et savoir se remettre en question. La vérité aussi est nécessaire pour partager avec ses équipes, ses collaborateurs, la réalité d’une situation et bâtir un projet cohérent. Dissimuler la vérité sur une situation donnée est une source de malentendus et retarde la mise en action des mesures nécessaires à mettre en œuvre. Je crois également au courage. Le courage, c’est ne pas hésiter à prendre des décisions impopulaires, des risques, en privilégiant toujours l’intérêt général. Enfin, la persévérance est indispensable pour naviguer durablement vers son cap, malgré tous les obstacles. La persévérance, c’est le courage dans la durée. 

 

 Et quel est le profil du collaborateur idéal ?

En ce qui me concerne, je n’attache pas une importance démesurée aux diplômes, qui ont d’ailleurs une durée déterminée compte tenu de l’évolution permanente des technologies. Je me fie plutôt à mon instinct en portant une attention particulière à l’expérience, aux réussites mais aussi aux échecs qui sont de formidables moteurs d’énergie guidés par la fierté de rebondir. Je regarde aussi si les valeurs de la candidate ou du candidat sont en adéquation avec celle de la société ou de l’institution afin de m’assurer de sa loyauté et de sa fidélité.  Enfin, quand je cherche un collaborateur, je regarde si elle ou il a dans les yeux la petite flamme d’enthousiasme, d’énergie, et de passion qui pourra lui faire déplacer les montagnes.

 

 

« Mettre tout en œuvre pour donner aux

entreprises les conditions de créer

de la croissance et de l’emploi »

 

 

Les responsables sont souvent soumis à une forte pression. Êtes-vous personnellement sensible au stress ?

Entre le Medef et mon groupe Radiall, je ne suis pas désœuvré. Je résiste au stress parce que je sais déléguer, je m’entoure de collaborateurs compétents qui partagent mes objectifs et ma vision. Mais cette double charge, président du Medef et président de Radiall,  doit être limitée dans le temps. Faute de quoi, ou vous vous désintéressez de votre mission, or vous avez un mandat à respecter,  ou vous délaissez votre entreprise et ce sont les salariés dont vous êtes responsable qui en pâtissent. C’est pour cela que j’ai décidé de limiter à un seul mandat celui de président du Medef. Au-delà, la mission devient une fonction et se vide de son sens. Il est pour moi impératif que le président du Medef soit un chef d’entreprise, en phase avec le terrain et ses réalités. 

 

 Quelles sont vos plus grandes satisfactions depuis que vous êtes à la tête du Medef ? À l’inverse avez-vous des regrets ?

Ma plus grande satisfaction, c’est de rencontrer des chefs d’entreprise motivés, déterminés, et de constater le potentiel de notre pays qui regorge de talents. Mon regret, c’est de voir ces atouts mal ou insuffisamment exploités. Mon espoir, c’est  le projet de loi Noé et les réformes prévues pour aider l’économie française à s’adapter à la révolution numérique et faire en sorte que chacun trouve sa place dans cette transformation.

 

 Quels sont vos objectifs pour les mois à venir ?

Je n’en ai qu’un jusqu’à la fin de mon mandat : mettre tout en œuvre pour donner aux entreprises les conditions de créer de la croissance et de l’emploi et faire de la France le grand pays qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être.

 

 

 

Propos recueillis par Ghislain Hanicotte et Victor Mollet