La révision judiciaire du contrat (par Yves Letartre, ADEKWA Avocats Lille)

 

 

« Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux que les ont faites »

 

 

 

ADEKWA Avocats Lille - Yves LETARTRE - La Révision Judiciaire du Contrat 03

 

 

|  par Yves LETARTRE, Avocat Associé  |

Avocat au Barreau de Lille

 

 

Le principe de l’autonomie de la volonté à l’origine de la force obligatoire des contrats a ainsi été réaffirmée par l’Ordonnance du 10 février 2016 qui a modernisé le droit des contrats. Le nouvel article 1103 du Code Civil a repris les dispositions de l’ancien article 1134 du Code Civil de 1804.

Il s’agit d’un principe né des idées révolutionnaires de 1789 selon lesquels les hommes, et donc les parties, sont égaux dans la négociation et dans la conclusion des contrats ; en conséquence seules les parties peuvent, d’un commun accord, réviser le contrat. Il est donc interdit au Juge de réviser le contrat. Il doit le respecter et le faire respecter ; « Ministre de la volonté des parties » le Juge doit être le serviteur respectueux du contrat alors même qu’un changement imprévisible du contexte économique et social ou politique en aurait déséquilibré l’économie.

Un exemple nous est donné par le fameux Arrêt du 6 mars 1876 « Canal de Craponne » : des contrats avaient été conclus en 1560 et 1567 qui avaient pour objet la fourniture d’eau destinée à alimenter les canaux d’irrigation de la plaine d’Arles, moyennant une redevance de 3 sols par carteirade (190 ares). Au cours du XIXème  siècle, l’entreprise qui exploitait le canal, faisant état de la baisse de la valeur de la monnaie et de la hausse du coût de la main d’œuvre, demanda le relèvement de la taxe qui n’était plus en rapport avec les frais d’entretien. La Cour d’Aix ayant élevé cette redevance à 60 centimes, sa décision a été cassée au motif suivant : « dans aucun cas il n’appartient aux Tribunaux quelques équitables que puissent leur paraître leurs décisions, de prendre en considération le temps et les circonstances pour modifier les conventions des parties et substituer les clauses nouvelles à celles qui ont été librement acceptées par les contractants ».

Mais ce principe de l’intangibilité du contrat a évolué au cours des années car le législateur et le juge ont bien été obligés de tenir compte de certaines réalités.

Il arrive en effet que la volonté dominante d’une partie amène le Juge à réviser le contrat de façon à rétablir un équilibre entre les contractants.

Mais, allant plus loin encore, le législateur peut permettre au juge de tenir compte de circonstances extérieures à la volonté des parties pour réviser un contrat.

 

 

 

Révision judiciaire en raison de la volonté dominante d’un contractant

 

ADEKWA Avocats Lille - Yves LETARTRE - La Révision Judiciaire du Contrat 01

 

 

Le défaut d’équivalence des prestations, également appelé lésion, n’est pas une cause de nullité des contrats. Le principe est posé à l’article 1168 du Code Civil issu de l’Ordonnance du 10 février 2016 qui n’a fait que reprendre un principe inscrit dans le Code Civil de 1804 (ancien article 1118). Mais cette règle, conséquence du principe de l’autonomie de la volonté, a également été battue en brèche dès 1804, puis au fil du temps.

La révision judiciaire a d’abord porté uniquement sur le prix ; puis elle a également concerné les autres stipulations du contrat amenant le juge à « refaire » le contrat.

 

 

LA RÉVISION DU PRIX 

 

En principe la lésion sur le prix excessif ou insuffisant n’est pas un motif de révision. L’article 1171 du Code Civil issu de l’Ordonnance du 10 février 2016, reprenant une solution du Code Civil de 1804, a d’ailleurs affirmé, à propos du déséquilibre significatif des prestations, que celui-ci ne pouvait porter sur l’adéquation du prix à la prestation.

Le juge n’a donc pas à apprécier le juste prix mais la révision judiciaire du prix peut être autorisée par la Loi et il arrive même que le juge s’en donne la possibilité sans l’autorisation du législateur.

 

La Loi

 

Le défaut d’équivalence des prestations n’est pas une cause de nullité du contrat « à moins que la loi n’en dispose autrement » (Article 1168 du Code Civil)

Le législateur n’a pas manqué d’intervenir dans un certain nombre d’hypothèses.

Ainsi, dès le Code de 1804, le législateur a voulu protéger le bon père de famille, à une époque où l’essentiel de la fortune était immobilière, qui, dans le besoin, aurait été tenté de brader ses biens. C’est pourquoi l’article 1674 du Code Civil dispose que le vendeur d’immeuble qui est lésé de plus de 7/12ème, c’est-à-dire qu’il reçoit moins des 5/12ème de la valeur de l’immeuble, a le droit de demander la rescision de la vente, c’est-à-dire sa nullité.

Ou encore une loi du 8 juillet 1907, modifiée ensuite à plusieurs reprises, autorise l’acheteur d’engrais, de semences ou de plantes destinées à l’agriculture, lésé de plus du quart, à demander une réduction du prix et des dommages et intérêts.

L’article L 131-5 du Code de la Propriété Intellectuelle issue d’une Loi du 11 mars 1957, prévoit que l’auteur d’une œuvre littéraire ou artistique qui a cédé le droit de l’exploiter pour un prix forfaitaire peut, s’il subit une lésion de 7/12ème, obtenir la révision du prix convenu.

On citera également, en matière de société, l’article 1844-1 du Code Civil qui prohibe les clauses léonines c’est-à-dire les clauses qui attribuent à un associé la totalité du profit procuré par la société ou qui l’exonère de la totalité des pertes, celles qui excluent un associé de la totalité du profit ou qui mettent à sa charge la totalité des pertes.

Dans ces situations le juge ne peut que prononcer la nullité mais l’acheteur a parfois la possibilité de « racheter » la lésion. Ainsi en matière de vente d’immeubles l’acheteur a le choix ou de rendre le bien en retirant le prix qu’il en a payé ou le garder en payant le supplément du juste prix qui aura été fixé par le Tribunal qui ainsi révise le contrat.

 

La Jurisprudence

 

À maintes reprises et pour toute sorte de contrat, la Cour de Cassation a affirmé que le Juge ne saurait se comporter en « Ministre d’équité » et rétablir l’équivalence de prestation en augmentant celle d’un contractant ou en diminuant celle de l’autre. Cette fermeté a été dictée par des considérations relatives à la sécurité des affaires. Si les juges pouvaient, en tenant compte de l’équité, modifier à leur guise les prestations convenues entre les parties, le contrat perdrait ce qui constitue l’un de ses avantages fondamentaux, la stabilité.

Cependant la Cour de Cassation a apporté un certain nombre de tempéraments à ce principe.

Ainsi dès la seconde moitié du XIXème siècle, la Cour de Cassation a reconnu aux Tribunaux le pouvoir de réduire les honoraires des mandataires et agents d’affaires lorsqu’ils les jugent excessifs. La solution a été ensuite étendue aux honoraires des architectes, avocats, avoués, notaires, banquiers, médecins, conseils en organisation ou gestion, experts comptables, détectives, généalogistes (…). A titre d’exemple, pour la fixation des honoraires d’avocat, la Cour de Cassation admet qu’ils puissent être réduits s’ils sont excessifs même s’il existe une convention d’honoraires. Cette solution d’équité s’explique semble-t-il pas le désir des magistrats de protéger les usagers contre certains professionnels dont il est difficile d’apprécier la réalité et la valeur des prestations avant qu’elles n’aient été exécutées.

Les juges ont également exercé un contrôle sur le prix de cession des offices ministériels, notamment des notaires, en réduisant celui-ci lorsqu’il est trop élevé. Les tribunaux se reconnaissaient le droit de réduire le prix excessif, même s’il a été accepté par le Garde des Sceaux, motif pris de ce que ces cessions intéressent l’ordre public, le nouveau titulaire ne devant pas être tenté d’user de procédés irréguliers pour augmenter les produits d’une charge payés à un prix excessif.

 

 

LA RÉFECTION DU CONTRAT

 

Dans plusieurs textes, dont certains sont de création récente, la loi a autorisé le juge à refaire le contrat. Cette réfection ne va pas porter sur le prix mais sur d’autres stipulations.

Ainsi la clause pénale figurant dans un contrat prévoyant qu’à défaut d’exécution le cocontractant devra une indemnité, peut être modifiée par le Juge si son montant est manifestement excessif ou dérisoire (article 1231-5 du Code Civil).

Peuvent être également remises en cause par le juge les clauses créant un déséquilibre entre les droits et obligations des parties qui sont qualifiées de clauses abusives. Tel est le cas entre professionnel et consommateur, le Code de la Consommation réputant non écrites les clauses créant un déséquilibre entre les droits et obligations des parties (article L 212-1du Code de la Consommation).

De même, depuis 2008 dans les contrats entre professionnels, le Code de Commerce (article 442-6 2è) comporte une disposition visant à sanctionner sur le terrain de la responsabilité les clauses créant un déséquilibre significatif des droits et obligations des parties, ce qui peut obliger les parties à renégocier le contrat.

À la suite de l’Ordonnance du 10 février 2016, le Code Civil a lui-même consacré la notion de clauses abusives définies comme des clauses créant un déséquilibre significatif entre les parties (article 1171 du Code Civil) elles sont réputées non écrites mais cette appréciation du déséquilibre ne peut concerner que les contrats d’adhésion définis comme étant ceux dont les conditions générales, soustraites à la négociation, sont déterminées à l’avance par l’une des parties (article 1110 du Code Civil).

Mais en tout état de cause ce déséquilibre ne peut jamais porter sur l’adéquation du prix à la prestation. Le juge ne peut donc réviser le prix même s’il n’est pas juste.

Cependant les circonstances extérieures peuvent l’y amener.

 

 

 

Révision judiciaire en raison de circonstances extérieures à la volonté des parties

 

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Deux situations peuvent amener le juge à réviser le contrat, l’une classique qui est l’insolvabilité de l’une des parties, qui n’est pas voulue mais qui est prévisible en ce sens qu’elle peut arriver à l’occasion de tout contrat, l’autre plus exceptionnelle qui sont des circonstances cette fois imprévisibles lors de la conclusion du contrat.

 

 

L’insolvabilité

 

Les difficultés financières conduisant à l’insolvabilité d’une partie qui ne peut plus faire face à ses obligations ont toujours permis au Juge de réviser le contrat.

Il peut ainsi accorder des délais de grâce à tout débiteur. Le Juge peut, compte-tenu de la situation du débiteur, et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues (article 1343-5 du Code Civil). Il peut même, par une décision spéciale et motivée, ordonner que les sommes correspondant aux échéances reportées porteront intérêt à un taux réduit au moins égal au taux légal, ou que les paiements s’imputeront d’abord sur le capital.

Les particuliers surendettés peuvent bénéficier d’une procédure de surendettement conduisant le juge au rééchelonnement de leur dette voir leur effacement en cas de procédure de rétablissement personnel qui est au particulier ce qu’est la « faillite » des professionnels.

Les procédures dites collectives dont peuvent bénéficier les professionnels commerçants ou non commerçants peuvent également conduire le juge à imposer des délais de paiement au créancier dans le cadre d’une mesure de sauvegarde ou d’une procédure de redressement judiciaire. Ou encore,  s’il y a une poursuite d’exploitation, l’administrateur peut exiger la poursuite d’un contrat alors qu’une clause de celui-ci prévoit sa résolution en cas de non-paiement (Article L 622-13 du Code de Commerce).

Ainsi l’insolvabilité conduit-elle à une révision du contrat sachant cependant qu’elle peut toujours arriver et qu’elle est donc en ce sens prévisible au moment de la conclusion de celui-ci. En revanche, il est des circonstances imprévisibles qui bouleversent l’économie du contrat.

 

 

Les circonstances imprévisibles

 

Depuis le célèbre Arrêt du Canal Craponne du 6 mars 1986, il était de principe que le juge n’avait pas le pouvoir de réviser un contrat au cas où un changement de circonstances imprévisibles viendrait à en bouleverser l’équilibre. Elle était pourtant admise par la jurisprudence administrative puisqu’elle avait été consacrée par un Arrêt du Conseil d’Etat du 30 mars 1916 et elle existait dans la plupart des législations européennes.

Cela ne signifiait pas que le droit des contrats ignorait totalement l’imprévision.

Elle avait été admise par des lois temporaires. A titre d’exemple, à la suite de la Guerre de 1914-1918, la loi du 21 janvier 1918 duite « loi failliot » avait admis la résolution des contrats passés avant la guerre de 1914 si l’un des contractants subissait un préjudice dépassant les prévisions qui avaient pu être raisonnablement faites au moment de la convention.

Par ailleurs, l’imprévision pouvait être envisagée par les parties. En effet, prenant conscience de ce que certains contrats ne peuvent se maintenir que s’ils évoluent, la pratique a mis sur pieds de multiples clauses qui ont pour effet de permettre leur adaptation. C’est le cas en particulier de la clause de hardship, encore appelée clause de sauvegarde qui permet à l’une ou l’autre des parties de demander un réaménagement du contrat qui les lie si un changement, vient à modifier l’équilibre de ce contrat au point de faire subir à l’une d’elle une rigueur (hardship) injuste. Mais ces clauses ont leur limite puisqu’il faut nécessairement l’accord des parties pour aboutir à une renégociation du contrat.

Rompant avec la tradition, l’Ordonnance du 10 février 2016 a introduit l’imprévision dans le droit des contrats français par un nouvel article 1195 du Code Civil qui dispose que « si un changement de circonstances imprévisibles lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant… ».

Cependant, le législateur a été extrêmement prudent. Le texte ne définit pas la notion de « changement de circonstances imprévisibles » permettant la renégociation. Mais Il précise que l’imprévision doit rendre l’exécution « excessivement onéreuse pour l’une des parties ».

De plus, ce texte a un caractère supplétif ; les parties peuvent donc conventionnellement se mettre d’accord pour accepter d’assumer les conséquences d’un éventuel changement de circonstances entrainant un déséquilibre économique du contrat.

Le mécanisme de la révision pour imprévision repose sur un déroulement en trois étapes.

En premier lieu, la partie victime des circonstances imprévisibles peut demander à l’autre partie de renégocier le contrat.

En deuxième lieu, en cas d’un refus ou d’un échec des négociations, les parties, si elles en sont d’accord, peuvent convenir de la résolution du contrat ou saisir le Juge pour que celui-ci adapte le contrat. Toutefois, dans le cas d’un refus de renégociation par l’une des parties, il est probable qu’elle refuse de se joindre à l’autre partie pour demander au juge l’adaptation du contrat.

Et en troisième lieu, si au terme d’un délai raisonnable, le contrat n’a pas pu être adapté d’un commun accord ou par le juge saisi conjointement par les parties, une partie peut demander au juge de réviser le contrat ou d’y mettre fin.

L’imprévision a donc vocation à jouer un rôle préventif, le risque d’anéantissement ou de révision du contrat par le juge devant inciter les parties à négocier.

L’Ordonnance du 10 février 2016 a peut être trouvé un juste équilibre en n’admettant la révision judiciaire pour imprévision que dans des circonstances exceptionnelles et en incitant les parties à renégocier de façon à limiter la révision du contrat par le Juge.

 

 

 

 

 

 

 

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