[ Secrets d’éloquence – Épisode 6/6 ]
“Il faut toujours savoir s’adapter »
C’est un avocat brillant et très efficace, disent ses clients et les confrères.
« Mon métier, comme le rugby, est un sport de combat », répond ce passionné du ballon ovale qui professe l’humilité et l’esprit d’équipe dans son cabinet.
Philippe Simoneau, ténor du barreau de Lille, aime le travail bien fait. Il a évité une amende pénale record de plus de 2,6 milliards d’euros à l’un de ses clients.
Voici sa vision de l’éloquence !
| propos recueillis par Victor MOLLET, Dircom ADEKWA Avocats |
Directeur de la Rédaction d’AUDIENCE
Quelle est votre définition de l’éloquence ?
P S : S’exprimer avec talent en suscitant l’intérêt. Dans notre métier, pour convaincre. Aristote disait qu’il fallait trois types d’éléments dans une plaidoirie : Ethos (la personnalité), Pathos (l’émotion) et Logos (la logique). J’essaie de temps en temps d’être d’Artagnan en y ajoutant de l’action !
Peut-on être éloquent, tout en restant simple, et en s’exprimant en langage parlé ?
P S : J’aime l’humilité et la simplicité, tout en veillant à l’efficacité. Il faut avoir du style, son style; être inventif et actif.
Y-a-t-il un don inné ou des qualités requises spécifiques pour être éloquent ?
P S : Certains ont manifestement des facilités. D’autres bossent. Mais les seules qualités requises spécifiques pour s’exprimer en public sont de ne pas claquer des dents car on ne vous comprend pas et des genoux, à cause du bruit.
Cette éloquence est-elle indépendante du physique ?
P S : La seule exigence concerne la posture, les gestes et le regard qui m’apparaissent indissociables de la parole et même déterminants.
Les notes “papier” de l’orateur sont-elles définitivement à proscrire ?
P S : Je ne serai pas aussi catégorique. Cela dépend des circonstances. Mais il faut se détacher au maximum des notes et veiller à regarder ceux à qui on s’adresse.
Quels sont selon vous les critères de réussite pour une intervention orale destinée à convaincre ?
P S : Être soi-même. Ne jamais chercher à imiter quelqu’un. Être frais, inventif, organisé. S’exprimer de manière intelligible et intéressante pour vos auditeurs. Utiliser le silence, les mots, la sérénité et la colère, les sourires, et les gestes, mais le tout naturellement.
L’humour constitue-t-il une “arme de choc” ?
P S : J’aime l’humour. Je suis persuadé que cela aide à retenir l’attention. J’avoue ne pas résister à tenter de faire sourire ceux qui m’écoutent et même ceux qui ne m’écoutaient pas pour qu’ils se mettent à m’écouter.
Avez-vous le trac ou manifestez-vous du stress avant de réaliser une plaidoirie ?
P S : Oui, comme beaucoup de mes confrères. On n’y remédie pas. Je respire. Je me lève, stressé, et puis au moment de prendre la parole, c’est fini. Il n’est alors plus le temps de stresser mais de plaider.
Laissez-vous de la place à l’improvisation ?
P S : Il faut toujours savoir s’adapter en négociation, dans une cellule de crise, ou à l’audience, face aux adversaires et aux juges. Souvent, les circonstances commandent que vous improvisiez. Tout en sachant quand même à peu près comment vous allez commencer et comment vous allez finir.
Acceptez-vous d’être interrompu et quelle est selon vous la meilleure réponse à la désapprobation ?
P S : Cela fait deux questions. À la première, je répondrai que cela dépend qui m’interrompt, quand et sur quel ton ! À la seconde, concernant la désapprobation, cela dépend quand elle se manifeste. Pendant la plaidoirie, il faut savoir percevoir ses interlocuteurs et s’adapter. Après, il est trop tard.
Avez-vous le souvenir d’une intervention dont vous êtes particulièrement fier ?
P S : Oui, même si cette “fierté” est toute personnelle ; je la ressens d’ailleurs devant des juridictions très différentes, comme la Cour d’Assises, le Tribunal Correctionnel, ou encore le Tribunal de Commerce.
Une de mes dernières “fiertés” est d’avoir plaidé cette année avec succès devant la plus petite juridiction de France (la juridiction de proximité, d’ailleurs supprimée le 1er juillet 2017) la plus grosse amende contraventionnelle encourue de 2 664 990 000 € pour 1 184 440 infractions. Plus de trente pages de conclusions à plaider, un vrai régal !
À l’inverse, avez-vous, malgré votre expérience en la matière, le souvenir d’une moins bonne prestation oratoire et avec le recul, quelles en étaient, selon vous, les causes ?
P S : On essaie de les oublier bien vite, même si elles sont rares (rires !). Parce qu’on n’était pas en forme, mal luné, ou que rien ne s’est finalement passé comme prévu. Donc j’ai oublié, en me souvenant de faire mieux…
Et vous, quels sont les orateurs qui vous impressionnent ?
P S : Impressionner n’est pas le mot. Je suis plus impressionné par ce que font mes proches que par des orateurs. Dans ce domaine, j’aime écouter mes confrères. Certains sont connus, comme Eric Dupond-Moretti et Frank Berton ; vous savez que je suis notamment très proche de Frank Berton, que je considère être un brillant orateur. D’autres, plus discrets, sont tout aussi brillants. Ce n’est pas la notoriété qui compte. Ce sont leurs qualités humaines et leur force de persuasion que j’écoute avec gourmandise et que j’aime.
Peut-on, selon vous, mettre son éloquence au service de toutes les causes ?
P S : C’est un sujet de Bac philo, votre question ! La réponse est oui. Même si des personnes très éloquentes mettent leurs qualités et leurs talents à défendre des idées ou des causes contestables.
Je suis par-dessus tout attaché à la liberté absolue d’expression. Je déteste la censure. Il faut seulement être plus talentueux et convaincants que nos adversaires.
Défendriez-vous “ l’indéfendable ” ?
P S : “L’horreur est humaine”, disait Coluche. L’indéfendable doit être défendu. C’est l’honneur de notre République. C’est l’honneur de ma profession. L’équilibre doit exister dans tout procès, entre toutes les parties. L’avocat est le dernier et ultime rempart. Je sais que c’est parfois difficile à comprendre et à accepter, mais oui, l’indéfendable doit être défendu.
La question que je me pose n’est donc pas de savoir si le pire des salauds doit être défendu ; la seule question que je me pose est de savoir si j’en serais capable. Parfois, c’est oui ; parfois non. J’ai déjà défendu ce que vous désignez d’indéfendable.
N’ayant jamais vraiment appris à parler à l’école, les Français sont souvent tancés pour leur incapacité à s’exprimer en public avec aisance. Notre système éducatif est-il à revoir ?
P S : Oui, dans ce domaine et dans beaucoup d’autres, comme pour les langues vivantes, le sport… Et ce qui est incroyable est que nous nous posons les mêmes questions, génération après génération, sans que les choses changent. J’espère vraiment que notre nouveau ministre pourra enfin bousculer un système engoncé dans ses certitudes et bien peu performant ! Sans oublier d’apprendre à parler à nos jeunes qui ont les yeux rivés sur leur smartphone.
Dans cette optique, si vous étiez ministre de l’Éducation, quelles mesures prendriez-vous immédiatement ?
P S : L’éducation est la base de tout. L’éducation à la maison bien sûr, mais aussi à l’école, au collège et au lycée. Ces périodes sont déterminantes.
Donner envie d’apprendre et de savoir. Donner envie d’enseigner. Faire que l’école soit un plaisir et pas une galère. Apprendre les choses les plus élémentaires de la vie en société aux matières plus “spécialisées”, mais toujours avec plaisir ; apprendre aussi à se comporter en société, à s’exprimer et à respecter l’autre. En classe de première, j’ai eu un prof de français qui a rendu la matière intéressante et passionnante (il était temps) ; avant, peu d’intérêt, pas de plaisir, c’était la galère.
Donc, ministre, je remettrai beaucoup de monde à l’école pour apprendre à apprendre. Ministre, je ne changerai pas le nom de la classe de “terminale” pour l’appeler “classe de la maturité” ; je trouve cela ridicule ; pendant ce temps, on ne s’occupe pas de l’essentiel !
D’ailleurs, à quoi sert la parole en société selon vous ?
P S : La parole est importante pour se connaître, se comprendre et vivre ensemble. Et quand il y a incompréhension, il faut parler et échanger, communiquer, débattre, même de manière un peu conflictuelle. “Débattre pour ne pas se battre”, disait je ne sais plus qui.
Pour conclure, si vous deviez distiller une bonne parole, quelle serait-elle ?
P S : Parlez et vivez passionnément.
Et si je peux me permettre, si ces thèmes vous intéressent, lisez La parole est un sport de combat, de Bertrand Périer. Très bon livre. Offrez-le !
Coluche disait : “C’est beau le progrès. Demain quand on offrira un livre à un gamin, il le tournera dans tous les sens pour savoir où il faut mettre les piles” !
Portrait Chinois
Votre plus grande fierté ?
Mes enfants.
Votre plus grand regret ?
Ne pas être devenu dessinateur et auteur de bandes dessinées.
Votre devise préférée ?
“I have a dream”, de Martin Luther King.
Votre citation favorite ?
Il y en a deux qui me viennent à l’esprit. Vous choisirez : “Un homme sérieux a peu d’idées ; un homme à idées n’est jamais sérieux”, de Paul Valéry.
Et “J’adore être pris en flagrant délire”, de Raymond Devos.
Une personnalité qui vous inspire ?
Madame Simone Veil.
Un air de musique ?
J’aime tout, avec des préférences pour le rock, le blues, la chanson française, les chants basques et kanaks, et les hymnes au Tournoi des 6 nations.
Et je ne me lasse jamais d’entendre et chanter la Pena Baiona !
Un mot juste ?
“Juste Leblanc”, alors ; “Monsieur Pignon, votre prénom à vous, c’est François ;
c’est juste ?”.
Un mot qui tue ?
Des maux, M.A.U.X., qui tuent, vous voulez dire : intolérance et extrémisme.
Un mot qui guérit ?
Je t’aime.
Un juron d’exception ?
Je ne peux pas, vous allez rougir : “Gottferdom !” (Lisez Lanfeust de Troy).
ADEKWA Avocats
Cabinet d’avocats
Lille – Douai – Valenciennes – Bordeaux