Coup de cœur x Philippe BILGER

[ Coups de Cœur   –   Épisode 1/15 ]

 

 

 

TRANSCENDANCE

 

ADEKWA Avocats Lille - Philippe BILGER

 

Philippe Bilger, avocat général à la cour d’assises de Paris pendant plus de vingt ans,
est magistrat honoraire, aujourd’hui président de l’Institut de la parole.

 

 

La liberté d’expression est le sujet qui me vient naturellement à l’esprit quand on me propose d’écrire sur ce qui m’indigne ou m’enthousiasme. Soit le refus lâche et obstiné de celle-ci soit le courage intellectuel et politique qui la suscite.

 

Mais pour une fois des événements récents tragiques ou qui auraient pu l’être me conduisent à dénoncer une habitude française qui révèle le fond d’élites politiques, culturelles ou médiatiques devenues de plus en plus rétives à une admiration sans nuance ni réserve. Admiration du bout de l’esprit et du cœur, presque avec réticence.

 

Le colonel Beltrame, en se sacrifiant pour sauver une vie, a fait l’objet d’un hommage national unanime comme si la France était heureuse et fière de se voir sublimée par ce héros sans commune mesure avec sa quotidienneté égoïste et trop souvent vindicative. On a assisté durant quelque temps à ce phénomène rare d’un pays rassemblé dans la douleur et remettant au premier plan, grâce à une victime d’exception, les vertus de la grandeur et de l’honneur. D’un coup l’épopée nous rendait glorieusement visite.

 

Puis la médiocrité a repris le dessus. Quand des municipalités ont voulu donner le nom du Colonel Beltrame à des établissements ou à des lieux de leur cité, il était miraculeux de ne pas entendre la moindre protestation. Des parents avaient peur pour leurs enfants et, pire, il ne fallait surtout pas imputer au terrorisme islamiste la responsabilité de l’avoir assassiné. C’étant sans doute le sexe des anges qui avait perpétré l’innommable! De fil en aiguille, à cause de ces controverses de mauvais aloi, l’aura éclatante de l’admiration immédiate était battue en brèche. La France s’engluait dans son péché pervers qui était de célébrer puis de le regretter.

 

Et le colonel Beltrame est indissociable, pour moi, de l’épisode d’un jeune malien modeste, héros d’un jour et d’une escalade qui a sauvé un enfant de six ans suspendu dans le vide au quatrième étage d’un immeuble. N’écoutant que son courage, Mamoudou Gassama a fait fi de toute prudence et, enthousiasmant ceux qui d’en bas le regardaient, a réussi une entreprise qui méritait en effet d’être couronnée par un entretien avec le président de la République et une naturalisation française octroyée comme récompense. C’était exemplaire, audacieux, en quelque sorte pédagogique. On pouvait être sans titre régulier en France et en même temps auteur d’un acte remarquable à féliciter.

 

Il n’empêche que des mauvais coucheurs n’ont pas manqué de rechercher derrière cette apparence intrépide et héroïque des subterfuges, de l’équivoque, une manipulation qui n’étaient destinés qu’à démontrer comme il y a des citoyens dégoûtés par l’évidence et offensés par la pureté. Pour eux l’ambiguïté et la suspicion sont les compagnons obligatoires d’un consensus trop beau pour être honnête.

 

Moi qui me flatte d’avoir un esprit critique, qui me désole de l’avoir trop, je me contrains à ne jamais répudier cette allégresse indicible : il y a des personnalités et des actes qui, grâce à eux, nous transcendent.

 

 

 

Tribune issue du dernier numéro de notre magazine AUDIENCE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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