Coup de gueule x Pierre VERLEY

[ Coups de Gueule   –   Épisode 6/20 ]

 

 

 

LA LOTERIE DU PATRIMOINE !

 

ADEKWA Avocats Lille - Pierre VERLEY

 

Avocat au barreau de Lille et ancien président de la CARPA, Pierre Verley est associé du cabinet ADEKWA Avocats. Il est spécialiste en droit de la construction.

 

 

Les 15 et 16 septembre derniers, se sont déroulées les Journées du patrimoine ; elles ont permis à beaucoup de prendre conscience de la richesse du patrimoine de leur pays et aux visiteurs de l’Élysée d’acquérir une montre munie d’un bracelet bleu-blanc-rouge ou une tasse à l’effigie du président de la République. Au même moment, la mission confiée à Stéphane Bern par le même président pour la sauvegarde du même patrimoine, alliée pour la circonstance à la Française des jeux, nous a sollicités par voie de loto pour alimenter une cagnotte destinée au sauvetage de 300 bâtiments, historiques ou vernaculaires, qui se trouvent en péril, un peu comme les chefs d’œuvre du même nom lorsqu’ils étaient retransmis par l’ORTF dans les années soixante ; on saura plus tard qui des bâtiments ou de la Française des jeux a raflé la mise…

 

Il y a quelques mois, l’Europe toute entière (même les Anglais, si, si !) a célébré le centenaire de la fin de la Grande Guerre ; les Allemands étaient présents (encore heureux, c’est vieux, tout ça, et puis on s’est réconciliés, quand même). Au début du mois de juin prochain, enfin, le monde entier se retrouvera sur les terres normandes, pour commémorer le 75e anniversaire du débarquement allié du 6 juin 1944 ; les Allemands seront présents (encore heureux, c’est vieux, tout ça, et puis on s’est réconciliés, quand même). Le devoir de mémoire et la conscience de la richesse de notre patrimoine seraient-ils donc à l’honneur en ces années 2018 et 2019 ? Pas sûr… Au cours d’un des beaux weekends que nous a offerts l’été caniculaire 2018, je me dirigeais vers Boulogne-sur-Mer sur la route côtière venant de Calais. Quelques kilomètres avant d’entrer dans la ville par le boulevard Sainte-Beuve (natif de Boulogne, avouez que vous ne le saviez pas), se trouve érigé au bout d’une allée bordée d’herbes presque folles, un petit obélisque dressé à l’endroit même où se situait, le 16 août 1804, le trône sur lequel était assis ce jour-là Sa Majesté Impériale l’Empereur Napoléon 1er, quelques mois avant d’être sacré, dans les conditions que l’on connaît, par Sa Sainteté le Pape Pie VII. Mais que faisait donc l’Empereur à Boulogne au lendemain de ses 35 ans ? Figurez-vous qu’il distribuait ce jour-là les premières médailles de la Légion d’honneur aux plus valeureux soldats de la Grande Armée qu’il avait constituée à Boulogne depuis 1803 pour tenter d’envahir l’Angleterre, ses fidèles “grognards”. Oui, c’est bien à Boulogne-sur-Mer, plus connue pour être la ville natale de Franck Ribéry et le berceau de l’affaire d’Outreau, que les premières médailles de la Légion d’honneur, qui en empêchent aujourd’hui plus COUP DE GUEULE LA LOTERIE DU PATRIMOINE ! Avocat au barreau de Lille et ancien président de la CARPA, Pierre Verley est associé du cabinet ADEKWA Avocats. Il est spécialiste en droit de la construction. d’un de dormir, ont été remises par l’Empereur lui-même ! Une fois qu’on le sait… Le site en question, qui mériterait probablement mieux, est à peine indiqué au voyageur, vaguement entretenu, et donc presque toujours désert… Mais non, enfin, voyez ce groupe de personnes à l’entrée de l’allée qui mène à ce qui s’appelle en réalité La Pierre Napoléon…Vous voyez bien qu’il y a du monde ! C’est vrai, il y a du monde. Surtout à l’heure des repas, puisqu’en réalité les seuls “clients” du site sont ceux qui se pressent devant la baraque à frites (excellentes au demeurant) qui se dresse fièrement à l’entrée de l’impérial mémorial, dont elle fait oublier jusqu’à l’existence…

 

À quelques encablures de là, du haut de la Colonne qui porte le nom de sa Grande Armée, l’Empereur tourne le dos à ce triste spectacle, le regard déjà tourné vers Austerlitz (à moins qu’il ne défie ostensiblement l’Angleterre à laquelle il présente son impérial séant, celui-là même qui était assis sur le trône le 16 août 1804…) Il se dit que certains édiles boulonnais répugneraient à honorer la mémoire de celui qui dirigea notre pays lorsqu’il comptait 130 départements et s’étendait des Bouches-du-Rhône à celles du Rhin, au motif qu’il n’était en réalité qu’un tyran ayant rétabli l’esclavage… L’intéressé a aussi dressé les bases de la société moderne dans laquelle nous vivons aujourd’hui ; c’est à lui que nous devons l’organisation administrative et judiciaire du pays, et notamment la création de nombreuses règles de droit qui sont toujours en application au XXIe siècle, et qui sont regroupées dans notre petit livre rouge à nous, celui que l’on appelait encore il y a peu : le Code Napoléon. Alors, amis boulonnais, à défaut de respecter le code de la route, essayez de vous réconcilier avec votre passé glorieux, et incitez vos visiteurs à se souvenir du code Napoléon et de son auteur. Mais les boulonnais ne sont pas seuls fautifs. Le 18 juin 2015, fut célébré à Waterloo le bicentenaire de la bataille du même nom ; toute l’Europe était là ; même les ex-prussiens (encore heureux, c’est vieux, tout ça, et puis on s’est réconciliés, quand même). Toute l’Europe ? Non, la France brillait par l’absence de ses représentants (on ne va pas commémorer les défaites, tout de même, et puis c’est loin, c’est en Belgique). Reste que Waterloo est la seule bataille dont on se souvient plus du nom de celui qui l’a perdue que de celui qui l’a gagnée. Alors, à l’heure où nous peinons à convaincre les nôtres de la nécessité d’une Europe solide, à quelques mois des élections européennes, n’est-il pas temps de regarder notre Histoire en face, les yeux dans les yeux, et d’honorer enfin, comme le font nos amis belges et anglais, notamment, notre devoir de mémoire ?

 

 

 

Tribune issue du dernier numéro de notre magazine AUDIENCE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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