[ Coups de Gueule – Épisode 8/20 ]
LE COMBAT CONTRE LES DÉMAGOGUES ANTI-ÉCRANS EST UN COMBAT POUR LES LUMIÈRES !
Serge Tisseron est psychiatre, docteur en psychologie, et membre de l’Académie des technologies. Ses livres, traduits dans douze langues, portent notamment sur nos relations aux objets technologiques.
Vous vous demandez d’où provient l’augmentation du nombre d’enfants présentant des troubles du spectre autistique ? Ne cherchez plus, c’est la faute des écrans. Vous vous inquiétez des difficultés d’attention et de concentration de nombreux jeunes ? Supprimez les écrans ! Et le spleen des adolescents ? Les écrans vous dis- je ! Comme le médecin Diafoirus qui répète sans cesse « le poumon » à sa patiente dans Le malade imaginaire de Molière, certains voient aujourd’hui dans l’utilisation des écrans par les enfants la cause de tous les maux de la société.
Ce sont les nouveaux obscurantistes de notre époque. Ils ont une croisade à mener, et tous les moyens sont bons pour nous convaincre de les rejoindre. Rien ne les rebute. Ni les rapprochements qui font choc, comme : « Un écran, c’est un gramme d’héroïne », ou « Les enfants qui regardent les écrans rateront leur vie », ni les mensonges, comme une compilation de dessins d’enfants réalisée par un pédiatre autrichien, jamais validée par la communauté scientifique, et présentée sur les réseaux sociaux comme « une étude réalisée par l’INSERM de Lyon ». Car ces dénonciateurs acharnés des pouvoirs des images n’hésitent pas à y avoir recours pour leur propagande. Dans une vidéo, l’une de leurs porte-parole montre deux « dessins du bonhomme ». Le premier est parfait, et il a été réalisé, nous dit-elle, par un enfant peu exposé aux écrans. En revanche, le second se résume à deux traits non fermés et a été réalisé, nous dit-elle encore, par un enfant « beaucoup exposé aux écrans ». Mais que sait-on de l’âge de ces enfants, de leur problématique en dehors de la consommation d’écran, de leur éventuelle pathologie mentale ? C’est le retour de “la preuve par l’image”, qu’un demi-siècle de sémiologie n’a décidément pas réussi à extirper ! Comme s’il n’y avait pas déjà bien trop d’Internautes enclins à penser qu’une simple photographie sur les réseaux sociaux suffit à assurer la fiabilité d’une information !
Ils prétendent que de tels mensonges sont nécessaires pour provoquer un électrochoc dans l’opinion. Mais se rendent-ils compte qu’en privilégiant à ce point le levier émotionnel, ils risquent de provoquer des emballements incontrôlables ? Ne leur a-t-il pas suffit qu’à la suite de l’une de leurs vidéos, des internautes reprochent violemment à des parents d’enfants autistes d’avoir provoqué la maladie de leur progéniture en les abandonnant devant les écrans ? Réalisent-ils qu’ils sont en train de saper une valeur essentielle de notre culture héritée des Lumières, à savoir la confiance dans la capacité humaine à construire son opinion sur un examen critique et pas sur une conviction émotionnelle ? Oui, les écrans sont un problème. Mais nous ne le résoudrons pas en caricaturant ses enjeux et en culpabilisant les parents. Développons une critique constructive des écrans, qui nous permette, tous ensemble, adultes et enfants, d’apprendre à la fois à nous en servir, et à nous en passer. Car s’il peut arriver à chacun de les consommer trop, nous les utilisons surtout mal. Apprenons à leur demander tout ce qu’ils peuvent nous apporter, mais ne leur demandons pas ce qu’ils ne peuvent pas nous donner. Tel est le but de la campagne “3-6-9-12” qui prône depuis 2008 un usage raisonné des écrans après trois ans, c’est-à-dire à partir de l’âge où ils peuvent être utiles (www.3-6-9-12.org). Le combat contre la démagogie anti écrans est un combat pour les Lumières.
Tribune issue du dernier numéro de notre magazine AUDIENCE
ADEKWA Avocats
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