[ Coups de Cœur – Épisode 8/15 ]
ÉLOGE DE LA DIFFÉRENCE
Hugo Horiot est écrivain, comédien et militant pour la dignité des personnes autistes. Il est notamment l’auteur de L’empereur, c’est moi (L’Iconoclaste, 2013) et Autisme : j’accuse ! (L’Iconoclaste, 2018).
Nous vivons une révolution. “Disruption” des entreprises, développement des plateformes numériques et “uberisation” des services, l’économie industrielle cède la place à une économie digitale. Une pénurie conséquente de main d’œuvre se fait cruellement sentir dans les métiers liés au cyber et à l’intelligence artificielle. Alors que même le jury de sélection d’entrée à l’ENA, découvrant des candidats aux résonnements formatés et conformistes, s’est encore affolé l’année dernière de l’absence de pensée originale et atypique, dans le public ou le privé, les recruteurs peinent à trouver, y compris dans les grandes écoles, des profils aptes à remplir les missions nécessaires pour rentrer de plein pied dans cette nouvelle ère.
Or les profils présentant les prédispositions naturelles pour répondre à ces critères s’avèrent être ceux que notre système, dès l’école, rejette le plus, les condamnant à une voix de garage dans le sanitaire ou encore le médico-social, géré par des associations gestionnaires absorbant, dans une opacité totale, une quantité faramineuse d’argent public se comptant en milliards, pouvant aller jusqu’à plus de 50 000€ par personne chaque année. Une étude a montré qu’au Royaume-Uni, la population dyslexique, représentée à hauteur de 4% dans la population générale, l’était à hauteur de 20% parmi les chefs et créateurs d’entreprise. Quant à la Silicon Valley, les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) se tournent activement vers les profils atypiques. Tous les ans, Microsoft lance des opérations de recrutement en ciblant la population se situant dans le Spectre de l’autisme.
Aujourd’hui, l’une des compétences les plus prisées parmi ces entrepreneurs est l’aptitude à communiquer avec ces populations ne fonctionnant pas avec les standards sociaux majoritaires, afin de les rendre opérationnelles au sein de l’entreprise, pour bénéficier de leurs compétences hors normes. Porteuses d’innovation et de créativité, imaginant des usages que le commun des mortels ne conçoit même pas, elles pensent différemment, observent les choses sous un angle inédit et sont donc très utiles pour identifier les failles et les manques dans une architecture système. Aujourd’hui nous assistons ainsi à l’émergence de nombreuses compagnies se spécialisant dans la détection et la formation de ces profils afin de proposer leurs compétences à divers grands groupes. Mais bien souvent, cela se fait par l’approche médico-social qui a pour spécificité d’aborder sous l’angle de la pathologie ceux qui sortent d’une norme arbitraire. Il en résulte une infantilisation de ces salariés hors normes au détriment de leur épanouissement, nécessaire à leur performance. De plus, une telle approche a pour effet de brider et d’isoler le salarié en question et s’avère une organisation lourde et coûteuse pour le recruteur. Souvent, ces derniers vont passer à côté du potentiel de ces salariés en leur attribuant des tâches subalternes et répétitives. Or il faut des missions stimulantes intellectuellement, sans quoi la motivation de la personne autiste, qui a besoin de défi, dépérit très vite. Mais parmi les codes de l’entreprise qu’elles maîtrisent mal, il y a celui qui consiste à se vendre et à faire savoir plutôt qu’à savoir faire.
Parmi les start up françaises, on peut citer Aspertise, qui a pour spécificité d’être fondée et dirigée par des membres du Spectre de l’autisme. Parmi ses collaborateurs, certains ne travaillaient pas auparavant, voire étaient enfermés en hôpital de jour. En plus d’être non seulement ghettoïsés au mépris de leurs droits fondamentaux, ils coûtaient donc à la société, alors qu’en leur offrant un environnement de travail adapté, certaines entreprises sont aujourd’hui prêtes à mettre le prix fort pour profiter de leurs compétences. D’autres travaillaient déjà, mais étaient le plus souvent sous-employés et sous-payés. Lauréate de la 8e nuit des entreprises disruptives et contrairement à beaucoup d’autres, n’ayant aucune approche de type médico-social, cette jeune compagnie française de développement de technologie de pointe ouvre une passerelle plus que jamais nécessaire entre ces profils marginalisés et celui de l’emploi, passerelle dont notre monde a tant besoin aussi bien sur le plan économique que social pour relever les défis du XXIe siècle.
Tribune issue du dernier numéro de notre magazine AUDIENCE
ADEKWA Avocats
Cabinet d’avocats
Lille – Douai – Valenciennes – Bordeaux