[ Coups de Gueule – Épisode 16/20 ]
AUX PORTES DE L’EUROPE, 16 893 PERSONNES DISPARUES EN MÉDITERRANÉE DEPUIS 2014
Ancien cadre-dirigeant, Jean-Yves Abecassis est bénévole de SOS Méditerranée depuis 2015, année de création de l’association. Membre de son conseil d’administration, il est responsable de la sensibilisation scolaire.
Pour des milliers de personnes, fuir la Libye est un impératif de survie, et prendre la mer est devenu la seule issue.
Depuis mars 2016, les personnes rescapées accueillies à bord de l’Aquarius racontent les épreuves qu’elles ont subies avant de prendre la mer. Qu’elles soient arrivées en Libye il y a quelques mois, pour traverser le pays, ou bien il y a des années, pour y travailler, toutes sont passées par des centres, où elles ont été détenues contre leur gré, mises au travail forcé, souvent battues, torturées et violées tandis que des rançons sont extorquées à leurs familles par téléphone. À ces témoignages s’ajoute, fin 2017, une vidéo, obtenue par CNN, montrant des personnes vendues aux enchères sur un marché. Toutes les sources d’information convergent pour décrire un esclavage moderne. En outre, les rapports internationaux attestent de la grande porosité entre le banditisme, les milices et les agents des autorités étatiques. Ils précisent que les garde-côtes peuvent être de véritables relais des groupes armés à terre ; ce qui explique pourquoi certains évadés préfèrent mourir en mer plutôt que retourner vers cet enfer. En juin 2018, le conseil de sécurité de l’O.N.U prend des sanctions contre six hommes accusés d’être impliqués dans un trafic de migrants. Parmi eux, il y a le chef d’une unité libyenne de garde-côtes !
Il faut éclairer les citoyens européens sur l’horreur que représente, pour les personnes en fuite, d’être interceptés par ces gardes, et d’être ramenées, contre leur gré, dans les lieux de détention (plus de 15 000 personnes en 2017, et déjà plus de 12 000 en 2018). Les dirigeants européens s’orientent malheureusement dans une toute autre direction. En février 2017, ils décident de financer, d’équiper et d’entrainer les garde-côtes libyens ! Leur feuille de route ? L’interception !
Le devoir d’assistance aux personnes en détresse en mer s’impose à tous. Ce principe de droit maritime comporte des obligations : le navire qui porte secours doit s’inscrire dans le dispositif d’un centre étatique de coordination des secours. Celui-ci doit désigner un port sûr pour les rescapés : lieu où leurs besoins élémentaires soient pris en compte, où leur vie soit protégée, et où leur dignité respectée. Au lieu de s’en tenir au respect du droit maritime, les décisions européennes prises ces derniers mois ont contribué à la désorganisation des secours humanitaires : d’abord le refus d’ouvrir les ports européens, puis ce trajet déraisonnablement long imposé à l’Aquarius pour se rendre jusqu’en Espagne, et enfin un accès gravement retardé à un port plus proche (Malte). Ces décisions ont eu des conséquences mortelles. Pendant le temps où les navires des ONG sont éloignés de la zone de détresse, les naufragés disparaissent en mer (plus de 600 en quatre semaines).
La détermination des équipes de SOS MEDITERRANEE et de M.S.F a permis de sauver près de 30 000 personnes de la noyade depuis mars 2016. Elle a eu aussi un autre effet cet été : un début de coopération européenne, pour que les rescapés soient accueillis dans d’autres pays que ceux du port de débarquement. Mais ceci après de trop longues discussions, bateau par bateau. Il est donc urgent que soit mis en place un modèle de recherche et sauvetage en mer, fondé sur la priorité de sauver des vies, avec un mécanisme anticipé de débarquement et d’accueil des survivants dans l’Union Européenne, pas seulement dans les pays de débarquement.
Tribune issue du dernier numéro de notre magazine AUDIENCE
ADEKWA Avocats
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