Lanceurs d’alerte et représailles : les rappels de la cour d’appel de Grenoble (par Marine Marbach, ADEKWA Avocats Lille)

 

 

 

 

 

 

|  par Marine Marbach, ADEKWA Avocats Lille  |

Avocate au Barreau de Lille

 

 

 

Dans un arrêt rendu le 6 mai 2021, la Cour d’appel de Grenoble vient rappeler les principes applicables en matière de protection des lanceurs d’alerte contre toutes représailles, telle que prévue aux termes des dispositions des articles L1132-3-3 et L1132-4 du Code du travail, dans leur rédaction issue de la loi Sapin II.

(CA Grenoble, 6 mai 2021, RG n° 19/00084)

 

 

Pour mémoire, au terme de ce premier texte : « aucune personne ne peut être (…) sanctionnée, licenciée ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, (…) pour avoir signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique ».

Aux termes du second, tout acte pris à l’égard d’un salarié en méconnaissance de ces dispositions est nul.

Or, en l’espèce, une salariée, membre du comité d’éthique d’une société civile, avait, à plusieurs reprises et malgré des rappels à l’ordre, contacté la Direction Départementale de la Protection des Populations pour poser diverses questions concernant le fonctionnement de ce comité, sans en parler au préalable avec ses supérieurs hiérarchiques. Elle avait également interpellé sa hiérarchie à plusieurs reprises à ce sujet.

Elle avait fait l’objet, de la part de son employeur, de plusieurs rappels à l’ordre et d’un avertissement.

Considérant que le contenu des correspondances de la salariée caractérisait une nouvelle violation délibérée de ses prérogatives et des injonctions faites par sa hiérarchie, l’employeur avait finalement prononcé sa mise à pied puis l’avait licencié pour cause réelle et sérieuse.

La Cour d’appel toutefois, suivant le raisonnement des premiers juges, ne fait pas droit aux arguments de l’employeur.

Au contraire, elle constate que la salariée avait informé sa hiérarchie et la Direction Départementale, de façon « très circonstanciée », de manquements qu’elle avait constatés « touchant à la sécurité des personnes, la protection de l’environnement et au respect des règles d’éthique dans la supervision et l’encadrement des expérimentations animales », et dénoncé l’absence de prise en compte et de réaction adéquate de son employeur de ses précédentes alertes.

La cour déduit ainsi la bonne foi de la salariée du caractère circonstancié de ses alertes, et de la tentative d’alerte en interne avant de solliciter des autorités extérieures à l’entreprise.

Elle confirme ainsi, à la suite de la Cour de cassation, que la mauvaise foi ne saurait être caractérisée que lorsque le salarié a connaissance de la fausseté des faits qu’il dénonce [1].

Ainsi, dès lors que la salariée « présente des éléments de faits qui permettent de présumer, d’une part, qu’elle a relaté et témoigné de bonne foi de faits susceptibles de recevoir une qualification pénale délictuelle et, d’autre part, qu’elle a signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi n°2016-1691, [l’employeur] ne versant aux débats aucune pièce susceptible d’établir qu’elle aurait apporté une réponse adaptée aux alertes circonstanciées dont l’avait successivement saisie sa salariée », la Cour d’appel lui reconnaît le statut de lanceur d’alerte et la protection afférente.

Au visa des articles 5 de la Convention internationale du travail n°158 sur le licenciement, de l’article 10(1) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et des articles L1132-3-3 et L1132-4 du Code du travail, elle juge par conséquent que le licenciement de la salariée, en sa qualité de lanceur d’alerte, est nul.

Elle souligne, en outre, que le fait que la salariée n’ait pas immédiatement caractérisé, dans ses dénonciations, les qualifications délictuelles qui pouvaient être constituées n’est pas de nature à lui faire perdre le bénéfice de la protection des dispositions de l’article L1132-3-3 du Code du travail.

Compte tenu de son ancienneté, de sa rémunération, des circonstances de la rupture, de la situation familiale et professionnelle de l’ex-salariée, le préjudice de cette dernière à raison de la perte injustifiée de son emploi est évalué à la somme de 21 000 euros.

La Cour d’appel rappelle ainsi, pour l’employeur, non seulement l’interdiction stricte de toute mesure de représailles à l’encontre des lanceurs d’alerte.

Elle doit rappeler également aux employeurs, l’importance de traiter, en interne ou en lien avec leur conseil, toute alerte qui lui est remontée par un salarié ou collaborateur. La formalisation d’une procédure d’alerte, conforme notamment aux préconisations de l’article 8 de la loi Sapin II, même au sein des entreprises de moins de 50 salariés, sera à cet égard un outil déterminant pour faciliter et imposer la gestion rigoureuse de toute alerte.

La transposition prochaine de la Directive européenne relative à la protection des lanceurs d’alerte confirme encore la nécessité pour l’entreprise de développer une procédure de signalement interne.

Une évolution de la jurisprudence ?
La jurisprudence de la Cour de cassation reconnaît depuis longtemps que le fait pour un salarié de porter à la connaissance du procureur de la République des faits concernant l’entreprise qui lui paraissent anormaux, qu’ils soient ou non susceptibles de qualification pénale, ne constitue pas en soi une faute justifiant un licenciement [2].

La nullité du licenciement en revanche n’était, avant l’entrée en vigueur de la loi Sapin II, prononcée que lorsque la dénonciation portait sur des faits susceptibles d’être constitutifs de délit ou de crime [3].

Avec l’entrée en vigueur de la loi Sapin II ce champ semble néanmoins avoir été élargi à tout signalement non seulement d’un crime ou d’un délit mais aussi de toute « violation grave et manifeste d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, (…) de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l’intérêt général ».

En effet, la nullité du licenciement doit sanctionner selon les termes de l’article L1132-4 du Code du travail, sur toute méconnaissance notamment des dispositions de l’article L1132-3-3 du Code du travail, lequel prévoit désormais notamment, l’interdiction de toutes représailles à une alerte portant sur un crime ou délit, mais également toutes représailles à une alerte au sens de la loi Sapin II.

L’on notera que dans le cas d’espèce, le Défenseur des droits est intervenu volontairement à l’instance et a présenté des observations constatant que l’ex-salariée devait bénéficier de la qualité de lanceur d’alerte.

 

 

[1] Cass. soc., 8 juillet 2020, n°18-13.593.

[2] Cass. soc., 14 mars 2000, n° 97-43.268 ; Cass. soc., 12 juillet 2006, n°04-43.660 ; Cass. soc., 29 septembre 2010, n°09-41.543.

[3] V. Cass. soc., 4 novembre 2020, n°18-15.669 ; Cass. soc., 30 juin 2016, n°15-10.557.