À quoi sert l’Autorité de la concurrence ? (par Frédéric Cavedon, ADEKWA Avocats Lille)

 

 

La façade de l’immeuble est sobre, l’accueil présente un certain cachet, l’ambiance est feutrée. Mais ne vous y trompez pas : vous entrez dans l’une des institutions françaises les plus redoutées par le monde des affaires tous secteurs d’activité confondus : de l’agriculture à la distribution, de l’énergie à l’économie des loisirs, en passant par les médias, la santé, le monde des télécommunications ou encore les transports.

 

Autorité de la concurrence 02 (François Bouchon-Le Figaro)

 

|  par Frédéric CAVEDON,  Avocat Associé  |

 

 

Bienvenue au 11, rue de l’Échelle à Paris, siège de l’Autorité de la concurrence. Cette autorité administrative indépendante a été créée par la loi du 4 août 2008 de modernisation de l’économie, dite « LME », pour succéder au Conseil de la concurrence qui était l’institution « clef de voûte » de l’ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence codifiée en 2000 dans le Livre IV du Code de commerce.
La LME ne s’en est pas tenue à un simple changement de nom, même si ce dernier a son importance. En effet, comme l’a souligné Bruno Lasserre, ancien président du Conseil de la concurrence et actuel président de l’Autorité de la concurrence, « le Conseil de la concurrence avait été investi d’un pouvoir décisionnel en matière de pratiques anticoncurrentielles mais seulement consultatif en matière de concentrations. Celui-ci [s’est mué] en une Autorité unique chargée de veiller au respect de la concurrence dans tous ses aspects : pratiques anticoncurrentielles, bien sûr, mais aussi concentrations, recommandations publiques, enquêtes sectorielles, etc ».

En d’autres termes, bien qu’au cœur d’une profonde réforme du cadre institutionnel en la matière, l’Autorité de la concurrence ne s’inscrit pas moins dans une dynamique de changement, dans la continuité. Une évolution qui marque non seulement la reconnaissance du législateur de l’important travail de modernisation accompli par le Conseil de la concurrence depuis les années 2000 mais également l’aboutissement d’une montée en puissance de la régulation indépendante de la concurrence en France.

 

 

Une efficacité consacrée

 

 

Au-delà des nouvelles prérogatives qui lui ont été attribuées notamment dans le domaine du contrôle des concentrations, l’expérience montre que l’élément le plus tangible de la réforme institutionnelle réside dans l’organisation d’un véritable service d’instruction, qui a été totalement repensée. Tout particulièrement, la dichotomie entre l’enquête, qui relevait du ministre de l’Economie, et l’instruction, qui dépendait du Conseil de la concurrence, a disparu. Enquêteurs et rapporteurs se trouvent désormais réunis en un seul et même pôle sous l’autorité du rapporteur général de l’Autorité de la concurrence. Un nouveau mode de fonctionnement qui a permis de renforcer l’efficacité de la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles, c’est-à-dire les ententes et les abus de position dominante. Ce n’est pas le président de l’Autorité de la concurrence qui dira le contraire puisqu’il qualifie lui-même l’année 2014 de « cru exceptionnel » en ce qui concerne la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles dans le Rapport annuel de l’Autorité de la concurrence. Il est vrai que cette année-là, sept décisions de sanctions ont été adoptées, pour un montant total d’un peu plus d’un milliard d’euros d’amendes. L’entente constatée entre fabricants dans le secteur des produits d’hygiène avait à elle seule permis d’atteindre des sanctions records de plus de 605 millions d’euros. Depuis l’Autorité de la concurrence a fait mieux puisqu’elle a sanctionné le 15 décembre dernier une entente regroupant vingt entreprises du secteur de transport de colis (Geodis, Chronopost, DHL, FedEx…), ainsi que leur syndicat professionnel, pour un montant total de plus de 670 millions d’euros, soit la plus forte amende jamais prononcée par une autorité de concurrence en France.

Cette décision marque également le succès du programme de clémence français qui consiste pour les entreprises à informer l’Autorité de la concurrence de leur participation à une entente et de coopérer dans le cadre d’une enquête en vue d’obtenir une exonération totale ou partielle de la sanction encourue, sous réserve bien évidemment de respecter certaines conditions. Ce programme de clémence vient de franchir un nouveau cap, celui de la « maturité », avec l’adoption d’un nouveau communiqué de procédure le 3 avril 2015 à l’issue d’une consultation publique qui a permis d’en enrichir le contenu et d’en préciser certains points. L’Autorité de la concurrence intègre désormais dans son communiqué de procédure des fourchettes de réduction prédéterminées pour les demandeurs à la clémence de « type 2 » (demandeurs de second rang ne pouvant bénéficier que d’une exonération partielle de sanctions pécuniaires), de manière à accroître la transparence et donc les incitations à venir en clémence. Autre incidence pratique, l’Autorité de la concurrence est invitée à publier systématiquement un communiqué de presse à l’issue d’une opération de visite et saisie et ce, afin de mettre sur un pied d’égalité les entreprises visitées et celles qui ne le sont pas dans la course à la clémence.

 

 

 

670  MILLIONS D’EUROS

C’est le montant de l’amende record jamais prononcée par une

Autorité de la concurrence en France pour entente illicite

 

 

 

Des prérogatives renforcées

 

 

Pourtant déjà puissante et redoutée, l’Autorité de la concurrence voit ses prérogatives renforcées avec la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances du 6 août 2015, dite «Loi Macron». Une série de mesures vient consolider les outils d’enquête, d’instruction et de décision de l’Autorité de la concurrence notamment en substituant une véritable procédure de transaction à la procédure de non contestation des griefs. Ainsi, par exemple, le rapporteur général de l’Autorité de la concurrence peut désormais proposer, après l’envoi de la notification des griefs et si l’entreprise ne conteste pas ces griefs, une transaction fixant les limites minimales et maximales de la sanction pécuniaire encourue. En cas d’accord de l’entreprise concernée, le rapporteur général soumettra sa proposition au collège qui prononcera la sanction dans les limites ainsi fixées. Cette procédure est censée consolider la sécurité des parties en leur donnant, plus tôt dans la procédure, davantage de visibilité sur le montant de l’amende encourue, et devrait accélérer le traitement des affaires en limitant le risque de contestation devant le collège, puis devant le juge en cas de recours, sur les déterminants de l’amende. En matière de concentrations, plusieurs mesures viennent compléter et préciser les dispositions pertinentes du Code de commerce, comme, par exemple, en introduisant le mécanisme de « stop the clock » (suspension des délais), comme c’est déjà le cas devant la Commission européenne, en particulier lorsque les parties ne répondent pas dans le délai imparti aux demandes d’information de l’Autorité.

 

 

 

Pour mener à bien ses missions, l’Autorité de la concurrence compte actuellement 183 personnes totalement dévouées au service de la protection de la concurrence, dont 96, soit 53% de l’effectif total, affectées exclusivement au service d’instruction et donc directement dédiées à la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles et au contrôle des opérations de concentration d’entreprises. À cela s’ajoutent les dix-sept membres du collège de l’Autorité de la concurrence dont la composition a été renouvelée de manière significative en 2014. Huit nouveaux membres, soit la moitié du collège, ont été nommés avec une grande variété de profils juridiques, économiques et professionnels.

Pour sa part, Bruno Lasserre a été reconduit au poste de président. Le mot d’ordre semble donc rester le même : évoluer dans la continuité.