[ Coups de Cœur – Épisode 2/15 ]
LES BARREAUX ET LE BARREAU
Odon Vallet est spécialiste des religions, notamment auteur d’Une autre histoire des religions (Gallimard). En 1999, il a créé la Fondation Vallet, qui permet à des élèves de milieux défavorisés de poursuivre leurs études.
On m’appelle l’adjudant “étrangleur”. À la prison de Porto-Novo (Bénin), où la Fondation Vallet s’occupe de la santé et de l’instruction des détenus, le jeune interne Emmanuel, surnommé “docteur miracle” avait peur. Pourtant habitué aux horreurs des nuits de garde à l’hôpital, il n’osait guère s’adresser aux cent cinquante détenus réputés dangereux d’une cellule de quarante mètres carrés. Je le secouai par le cou et d’une voix haute et claire, il annonça les soins gratuits pour tous.
L’un d’entre eux s’avança avec une hernie ombilicale grosse comme un pamplemousse et tous applaudirent le médecin philanthrope de la paroisse méthodiste Miséricorde divine dont le prénom signifie “Dieu parmi nous”. Puis le docteur miracle rebaptisé “docteur sauveur” s’occupa d’un détenu septuagénaire avec AVC, hémiplégie et incontinence. Dans une cellule d’un mètre carré et demi, couvert d’esquarres sanguinolentes, celui-ci vivait seul ses dernières heures dont le docteur atténua les souffrances. Enfin, ce bon Samaritain s’occupa des trente-deux détenus (dans douze mètres carrés) du quartier des mineurs. Il y avait déjà jugulé deux épidémies de galle, une de varicelle et une de bilharziose. Il diagnostiqua une hernie inguinale grosse comme un avocat à opérer rapidement. Fin de la consultation et début du culte avec les prisonniers de toutes religions qui applaudirent le capitaine de gendarmerie commandant la prison pour les avoir autorisés à regarder la Coupe du monde de football grâce à des écrans que le docteur “étranglé” avait amenés. Des détenus qui applaudissent un gendarme, c’est du jamais vu.
Au mois d’avril précédent, Jean-Robert Armogathe, prêtre normalien, célébrait le chemin de Croix et l’office du Vendredi saint dans la vieille prison civile d’Abomey, la pire du pays. Dans un vague hangar servant de chapelle se côtoyaient catholiques, protestants, musulmans faisant la prière du vendredi et détenus en pleine séance de musculation. Quand les prisonniers apprirent que le prêtre venait de Rome où il avait célébré avec le Pape François, ils furent touchés de le voir quitter le “Vicaire du Christ” pour les damnés de la terre. Ils devenaient tous, pour un moment, de bons larrons, même les barbus probablement salafistes. Puis l’ecclésiastique récita un Je vous salue Marie dans la “cage aux fauves” ainsi nommée car cent quatre-vingt détenus pour de longues peines y partageaient cinquante mètres carrés sans même la moindre commodité pour leurs besoins naturels.
Le meilleur est à venir : la population carcérale de Porto-Novo a été diminuée de vingt pour cent et la vieille prison d’Abomey remplacée par un bâtiment neuf. Tout cela, en grande partie grâce au Barreau du Bénin (comprenant de nombreux Maçons de diverses obédiences) qui rédige chaque année un rapport sans concessions sur les prisons du pays. Merci chers Maîtres et à bientôt…
Tribune issue du dernier numéro de notre magazine AUDIENCE
ADEKWA Avocats
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