Coup de gueule x Arnaud BENEDETTI

[ Coups de Gueule   –   Épisode 19/20 ]

 

 

 

C’EST L’HISTOIRE D’UN MALENTENDU

 

ADEKWA Avocats Lille - Arnaud BENEDETTI

 

Professeur associé à Paris-Sorbonne Université, Arnaud Benedetti a été directeur de la communication à l’Inserm, après avoir dirigé celle du CNES et du CNRS. Son dernier livre : Le coup de com’ permanent (Éditions du Cerf, 2018).

 

 

Comme il arrive souvent en matière de communication, c’est l’incommunication qui l’emporte. Et ce sont les professionnels de l’information qui entre autres sont à l’origine de ces bugs communicants. Le sujet opère comme une métaphore de notre époque qui avec ses réseaux, le temps tendu et continu de l’info, les concurrences effrénées des différents émetteurs (médias traditionnels, médias sociaux, etc…) ne facilitent pas, loin s’en faut l’intercompréhension, mais tend au contraire à l’altérer, voire la brouiller. L’objet du délit ? Une déclaration du pape sur l’homosexualité dont on ne retient qu’un passage et encore en le décontextualisant, comme pour mieux en subvertir le sens, en tordre la matérialité et en faire l’énième expression d’une homophobie ecclésiale.

 

François conseillerait aux jeunes homosexuels de consulter un psychiatre. Sur le fond, le conseil en effet est bien proféré, mais au détour d’une intervention de près de trois minutes dont le contenu vise, non pas à stigmatiser les homosexuels, mais bien au contraire à les accepter, à ne pas les juger, à ne pas les stigmatiser. Si le recours à la psychiatrie est suggéré, et encore sur un mode mezzo voce, c’est d’abord comme un soutien aux jeunes et à leurs familles pour affronter la dureté d’un monde peu inclusif. Le Pape ne dit pas autre chose. Mais le choix des mots, le contexte virulent des scandales de pédophilie pointant le silence coupable des autorités ecclésiastiques, l’historique de la condamnation par l’Église de l’homosexualité, à l’instar des autres monothéismes, minent inévitablement toute parole chrétienne sur le sujet.

 

C’est un principe que toute communication s’imprègne d’une histoire lointaine ou proche : l’une et l’autre parfois, inévitablement, contraignent le locuteur. Nous communiquons toujours dans des conditions héritées du passé. L’émetteur, a fortiori quand il s’agit d’une institution, d’une organisation ou d’un collectif, communique en situation. Nous portons implicitement des stéréotypes, des prénotions qui irriguent et traversent comme autant de vents mauvais ou favorables les perceptions des récepteurs. Des représentations nous précèdent, ce qu’en langage courant nous appelons une réputation. Peu importe à vrai dire que celle-ci soit ou non fondée dans les faits. Elle préexiste et nous engage. La réception du message est indissociable de ce que renvoie aussi notre image avec ses qualités d’une part, ses aspérités d’autre part. Tout se passe comme si ce « malgré nous » continuait à sourdre, donc à communiquer, à travers nous. Quelque chose communique toujours en nous que nous ne pouvons maîtriser, une sorte de « part maudite » pour reprendre une expression particulièrement affectionnée par Georges Bataille.

 

Pour avoir oublié ce long débit conflictuel entretenu par l’Eglise dans son rapport à la question homosexuelle, le pape a tout au moins commis une maladresse. Il a littéralement fait scandale au prisme de ce que les bonnes pratiques communicantes sont appelées à respecter au sein d’un écosystème médiatique entraîné dans une course incessante à la fabrique de l’événement. Or l’une des propriétés consubstantielles de la nouvelle machine médiatique consiste à produire une info en tensions qui ne cesse de crépiter, de se renouveler, d’entretenir un climat perpétuel d’attention soutenue, d’histoire sans fin, de rebondissements roboratifs. Jamais l’information n’a été autant collisionnée par la société du spectacle dont Guy Debord, voici un demi-siècle, avait vu le premier l’irrépressible avènement. Par le choix rhétorique d’une association malencontreuse entre homosexualité et psychiatrie, François a libéré la captation et l’instrumentalisation de sa parole au service de la scène médiatique. Pas de pause pour l’actu ! La décélération est synonyme de perte sèche et de sens. Insatiable, le moloch se nourrit de tout, “buzz” sur tout, interprète, réinterprète, fait son miel de tout écart, conscient ou inconscient, qui heurterait les convenances présumées du moment, les préjugés d’une communauté ou d’une autre, les tabous dont chacun se croit dépositaire. Peu importe que la déclaration papale soit tissée de nuances, pondère des siècles de relations tumultueuses et tragiques à la question homosexuelle le laser médiatique, bousculé par l’activisme militant des réseaux, par l’immédiateté peu propice au recul et à la réflexion, par ce qui fait sensation bien plus que sens empoigne un instant, le déconnecte de sa trame plus épaisse, et le reverse comme une pièce à charge au grand procès spectaculaire d’une époque qui n’en finit pas de s’enfiévrer sur les crêtes d’un temps médiatique en surchauffe. Les quelques restitutions in extenso des propos de François n’auront pas suffi à apaiser la polémique. Au miroir médiatique, la mauvaise communication chasse souvent…la bonne.

 

 

 

 

 

Tribune issue du dernier numéro de notre magazine AUDIENCE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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