Coup de gueule x Bruno DEWAELE

[ Coups de Gueule   –   Épisode 10/20 ]

 

 

 

TOUT LE MONDE IL EST BEAU,
TOUT LE MONDE IL EST… INTELLIGENT !

 

ADEKWA Avocats Lille - Bruno Dewaele

 

Agrégé de lettres modernes, passionné de langue française, Bruno Dewaele est champion du monde d’orthographe.

 

 

N‘a-t-on pas récemment mis au point – jouez hautbois, résonnez musettes ! – un «soutien-gorge intelligent» qui, grâce à ses biocapteurs, se fait fort de détecter une récidive de cancer du sein, mieux que ne sauraient jamais le faire autopalpation et mammographie ?

 

Loin de nous, il va sans dire, l’intention de remonter les bretelles, fussent-elles de soutien-gorge, à qui que ce soit : très sincèrement, nous ne demandons qu’à croire que ledit soutif en a sous le bonnet ! Nous alerte tout au plus le fait que l’intelligence, hier définie comme une faculté d’adapter sa pensée à une situation inédite, se trouve aujourd’hui galvaudée par les annonceurs de tout poil. Le smartphone n’y est sans doute pas pour rien, et ce n’est jamais en vain qu’en pareille occurrence on soupçonne la main d’Albion. Mais quelques pages de Google suffisent à nous apprendre qu’ont été tour à tour qualifiés d’« intelligents »… une balance, une boîte aux lettres, une bouée, une brosse à cheveux, une caisse enregistreuse, une chaussure, un compteur électrique, une étiquette, un haut-parleur, une montre, un autocuiseur, une pâte à modeler, une poêle, un porte-cartes, une piscine, un préservatif, une canne, un radiateur, un sac à main, un téléviseur. La maison Goodyear se serait même ingéniée, c’est dire, à « ajouter de l’intelligence » à nos pneus ! Il est vrai que quand nos publicitaires décident de mettre la gomme pour promouvoir leurs produits, rien ne les arrête…

 

Encore une fois, nous ne doutons pas que tout ce qui précède n’ait atteint un degré de performance inégalé ni que le progrès n’ait considérablement renforcé l’efficacité et la fiabilité des objets en question. Nous nous en voudrions plus encore de contester à l’usager de la langue le droit de recourir à la métaphore, à la métonymie ou à l’hypallage, ces irremplaçables piments de la cuisine stylistique : arracher les mots à leur train-train, souffrir qu’ils s’aventurent de temps à autre au-delà du champ de leurs compétences, n’est-ce pas le tribut qu’il sied de payer pour que le discours se fasse poésie ? Pour autant, il ne faudrait pas que cette épidémie d’«  intelligence », si préférable qu’elle fût à nombre d’autres, participât d’un culte béat de la machine, à laquelle nous finirions par abandonner, et presque de gaieté de cœur, nos prérogatives. Voilà qui n’est pas sans rappeler cette autre propension qu’a l’humain d’aujourd’hui à se déclarer, tel un vulgaire radio-réveil, « en mode pause » ! Serions-nous sans transition passés de cette arrogance qui a longtemps refusé à l’animal toute forme d’intelligence à cette capitulation sans condition devant des choses que nous avons, des plus imprudemment, réchauffées dans notre sein ?

 

Méfions-nous de ces mots qui, sans qu’on y prenne toujours garde, dépassent notre pensée : ils écrivent souvent notre avenir.

 

 

 

 

 

Tribune issue du dernier numéro de notre magazine AUDIENCE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Cabinet d’avocats

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