Coup de gueule x Chantal JOUANNO

[ Coups de Gueule   –   Épisode 1/20 ]

 

 

 

CECI N’EST PAS UN DÉBAT !

 

ADEKWA Avocats Lille - Chantal Jouanno

 

Ancienne sénatrice, ministre des Sports et secrétaire d’État, Chantal Jouanno est présidente de la Commission nationale du débat public depuis mai 2018. En janvier 2019, elle annonce son retrait du Grand débat national en raison d’un désaccord avec le gouvernement quant à son organisation…

 

 

À l’heure où le Grand débat national concentre les espoirs, sans doute les espérances, et les controverses, je ne peux que m’interroger sur cette volonté trop partagée d’ignorer les enseignements de vingt ans de débat public. La France a été précurseur dans l’institutionnalisation des droits à l’information et à la participation. Elle semble devenir le fossoyeur de ces principes par une instrumentalisation du mot “participation”.

 

Le droit à la participation est né de la volonté de protéger l’individu contre les abus des plus puissants. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dispose dans son article 15 que « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ». La loi de 1807 créée l’enquête publique pour protéger le droit de propriété des expropriations abusives. Dans la foulée de grands textes de défense des droits individuels, la loi de 1995 a créé la Commission nationale du débat public (Cndp) afin que les citoyens soient informés et puissent s’exprimer le plus tôt possible sur un projet.

Deux textes permettent de comprendre que la participation n’est pas une procédure de légitimation mais un droit indissociable de l’approfondissement démocratique. Le rapport du Conseil d’État de 1999 : l’utilité publique aujourd’hui et la convention d’Aarhus reprise en partie dans la Charte de l’environnement. Le Conseil d’État pose comme évidence : « la rénovation des modalités d’appréciation de l’utilité publique suppose que le système des débats, consultations et enquêtes soit placé sous l’égide d’une instance consultative impartiale ». La Convention d’Aarhus crée les principes de la démocratie environnementale et pose l’obligation de participation et de motivation des décisions dans le domaine environnemental. En d’autres termes, la participation est intrinsèquement liée à la protection des droits individuels et à la démocratie environnementale.

 

La pratique du débat public par la Cndp depuis 20 ans, lui a permis d’en déterminer les principes fondamentaux : l’indépendance, la neutralité, la transparence, l’argumentation et l’égalité de traitement. Il ne peut y avoir de démarche de participation sincère et donc légitime sans respect de l’ensemble de ces principes. Car l’objectif d’un débat public est bien d’identifier les arguments de l’ensemble des parties prenantes, du faible citoyen à la plus puissante organisation, afin que le décideur soit éclairé et motive avec transparence sa décision finale.

On ne peut donc confondre un débat public avec la multiplication de procédures de consultation à grand recours de questionnaires, souvent numériques, qui sont de multiples façons insincères : par la rédaction inévitablement biaisée des questions – contraire au principe de neutralité ; par l’impossibilité de développer les raisons qui fondent une position – contraire au principe d’argumentation ; par l’impossibilité de toucher tous les publics et notamment les plus faibles et les plus éloignés – contraire au principe d’égalité ; par l’opacité dans le recueil et la gestion des réponses collectées – contraire au principe de transparence ; par le pilotage direct de ces consultations par le décideur qui se trouve donc être juge et partie – contraire au principe d’indépendance.

 

Plus encore, privilégier un questionnaire à un réel débat public est un message politique fort du décideur : « je choisis de fixer un cadre strict au débat car je crains l’anarchie de propositions individualistes » ; en d’autre termes « je n’ai pas confiance dans votre rationalité, ni dans votre capacité à construire une vision commune de la société ». Comment voulez-vous que le peuple ait confiance en ses dirigeants, si ses dirigeants n’ont pas confiance en lui ?

 

 

 

Tribune issue du dernier numéro de notre magazine AUDIENCE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ADEKWA Avocats

Cabinet d’avocats

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