Coup de gueule x Luc FRÉMIOT

[ Coups de Gueule   –   Épisode 20/20 ]

 

 

 

ALLONS ENFANTS…

 

ADEKWA Avocats Lille - Luc FRÉMIOT

 

Luc Frémiot a, tout au long de sa carrière, était un inlassable “avocat de la société”. Il s’est notamment distingué par son combat contre les violences conjugales, prononçant, en 2012, un réquisitoire historique dans le cadre de l’affaire Alexandra Lange, portée à l’écran (L’Emprise) trois ans plus tard.
Aujourd’hui hors des tribunaux, ce passionné d’écriture (Je vous laisse juges, La Vengeance d’une Femme) garde, à 67 ans, un œil vif et acéré sur l’actualité.

 

 

À l’heure où la France cherche son histoire à défaut de se souvenir, quand certains se réchauffent les mains à la flamme du soldat inconnu, tandis que d’autres chantent La Marseillaise en dégradant l’Arc de Triomphe, les citoyens défilent…

 

La France est en marche. La grande transhumance a commencé bien que ce ne soit pas la saison, mais qu’importe, nous appartenons à un peuple novateur, où l’esprit d’aventure accompagne le droit à l’oubli. Marches blanches, pour accompagner la petite victime enlevée, violée, souillée, battue, profanée. Bougies et bouquets de fleurs déposés sur le trottoir pour réveiller la lumière dans les ténèbres où Baudelaire nous conseillait de nous cacher, chaque soir après notre examen de conscience.

 

La France défile du pas têtu et obstiné du montagnard, bannières au vent, les narines frémissantes à l’odeur de la Révolution toute proche, si proche que les plus courageux, masqués, armés, transcendés par l’anonymat de la foule deviennent des héros auxquels, à défaut d’élever des statues, on finance des “cagnottes” qui permettront de rémunérer leurs avocats. Comme si la défense d’un idéal avait un prix. Robins des bois aux poings d’acier, camelots de la fraternité, tribuns de trottoirs qui polluent les plateaux, crachotent dans les micros les mots qui rendent fous. Avançons, avançons, le peuple souverain s’avance, ivre d’adrénaline, bardé de certitude, drogué au gaz lacrymogène. Les zadistes de la pensée sont partout : cela rappelle la formule aujourd’hui illustre d’une présidente de parti lors d’un débat entré dans le grand bêtisier de l’histoire : « Regardez les, ils sont partout, ils avancent vers nous… ».

 

Alors chantons, continuons, à gorge déployée, faisons entendre nos voix aux frontières de l’Europe, cela finira peut être par décourager ces morts vivants qui viennent agoniser aux portes de nos côtes pour découvrir le paradis du pays de la philosophie et des Lumières. Faisons résonner nos voix pour les joueurs de l’équipe de France : « Le jour de gloire est arrivé… ».

 

Pour tous ceux qui manifestent une barre de fer à la main  : « Entendez-vous dans ces campagnes mugir ces féroces soldats… ».

 

Pour les retraités qui traquent le moindre euro pour terminer à cloche pied leur dernier voyage : « Enfants de la patrie… ».

 

Pour cette femme que j’ai vue hier, couchée à même le sol sur le trottoir, la tête cachée dans les mains, pour le clochard aux portes de l’Église auquel il ne faut surtout rien donner car il pourrait boire, pour ce jeune homme qui travaille la nuit, chargeant et déchargeant les camions pour payer les études qu’il n’a pas choisies mais qui doit être tellement heureux de s’être vu octroyé son dixième choix. Il voulait être avocat alors il sera infirmier… Qu’importe les uns soignent les consciences et les autres les corps.

 

Pour celui qui dort dans sa voiture, reprenons le refrain, il file aux “bains publics” prendre sa douche avant d’aller travailler. Il a traversé la rue, lui, pour “trouver un job”.

 

Chantons sur les ronds-points devant les feux de palettes, là où certains ont retrouvé ce qu’ils avaient perdu, le partage, les propos du “café du commerce” celui qui était à côté de la boulangerie et qui a fermé parce qu’on fait ses courses à la grande surface et qu’on boit une bière à la cafétéria. Tous les sujets pêle-mêle, le référendum, la peine de mort, l’ISF, les phrases qui ne veulent rien dire et tous ces mots qui s’enfilent les uns derrière les autres comme les grains d’un chapelet, ultime prière, mais qui font tant de bien et qui rappellent les repas de familles perdus, quand les enfants étaient encore là. Quand on parlait de tout et de rien, que, lui, le grand-père chevrotait l’histoire de sa “Grande Guerre” et qu’on n’écoutait pas. Quand on parlait politique et qu’on se disputait autour d’un verre et que les saucisses finissaient de noircir sur le barbecue…

 

Ils rêvent d’une autre vie « en chantant » comme dit Sardou, ils inventent un autre monde, ils feront bouger les lignes, mettront la République à genoux : « Aux armes citoyens… ».

 

Ils ne savent pas que leur place est déjà réservée au Panthéon des illusions et des causes perdues : le nouveau monde est en marche. Parce qu’on peut tout dire et tout faire, n’importe quoi, n’importe qui. On est tellement libre. Imposture quand tu nous prends….

 

Toi qui nous permets tout. Penser et parler au nom des autres (on n’est jamais aussi bien servis que par soi-même). Chanteurs, artistes, humoristes, acteurs défilent sur les plateaux pour sanctifier la fête du nombril, servis par un service public nourri à la télé-réalité.

 

Mon Dieu que tout cela est passionnant… Chacun a son traumatisme, tous “se mettent en danger”, chacun a sa télé, son moment de gloire « quand la photo est bonne » comme disait Barbara, postée sur un site, devant la mer un verre à la main. « On fait les fous » comme se plaît à relever un animateur d’une émission célèbre de TMC. Et l’exemple vient de haut : que dire de ce ministre en exercice d’un gouvernement avorté qui s’autorise à faire claquer l’élastique de la culotte d’une journaliste qui se penche devant lui pour ramasser le stylo qu’elle vient de laisser tomber ? Que s’est-il passé après cela ? Une réaction du plus haut niveau ? A-t-on précisé à celui-ci, plus proche du nain de jardin que du séducteur, qu’il s’était comporté comme le dernier des goujats ? L’a-t-on congédié comme il le méritait ?

 

Marchons et défilons pour lutter contre la violence faite aux femmes. Une, deux, une, deux : « Ils viennent jusque dans vos bras, égorger vos fils et vos compagnes… ». Quand Pamela Anderson se rend à l’Assemblée Nationale… Quand la folie entre dans l’hémicycle, l’indécence, l’impudeur, quand certains élus de la Nation se précipitent, se bousculent, oublient qui ils sont où découvrent ce qu’ils sont… Comment dit-on déjà ? La “Représentation nationale” ? Comme disait Voltaire: « Si Dieu nous a fait à son image, nous le lui avons bien rendu… ».

 

Et lui… L’autre, le sniper de studios, celui qui se plaint d’être jugé par « le Tribunal du goût et de l’opinion publique » à la suite de ses commentaires sur ses appétences sexuelles et son dégoût du corps des femmes de cinquante ans. Lui a-t-on demandé comme on disait enfant “si sa grand-mère fait du vélo.” ?

 

On connaissait déjà ses érections intellectuelles, qu’il nous fasse grâce du reste… Mais tout cela n’a pas d’importance, rassurons-nous : il reste toujours de la place dans les poubelles de l’histoire. Il n’est pas sûr que le tri sélectif et les écologistes y trouvent leur compte. Qu’importe !

 

Allons enfants…

 

 

 

 

 

 

Tribune issue du dernier numéro de notre magazine AUDIENCE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ADEKWA Avocats

Cabinet d’avocats

Lille  –  Douai  –  Valenciennes  –  Bordeaux