“Ce n’est pas rien de monter sur scène pour faire rire les gens »
Anne Roumanoff monte sur scène depuis 1987 avec toujours autant de sympathie et de fraîcheur. Dans ses chroniques médiatiques ou ses spectacles, elle ne manque jamais d’égayer l’actualité et de moquer habilement notre société et ses plus éminentes personnalités.
Entretien avec une femme pétillante qui figure chaque année parmi les humoristes préférés des Français. Rideau !
| propos recueillis par Victor MOLLET, Dircom ADEKWA Avocats |
Directeur de la Rédaction d’AUDIENCE
Vous êtes diplômée de Sciences Po, où vous avez notamment côtoyé Jean-François Copé… Avez-vous un jour songé à faire de la politique ?
Non, je n’aurais pas eu la patience de faire de la politique. J’ai beaucoup d’admiration pour les hommes et les femmes politiques : le don de soi que ça demande, le temps qu’il faut passer à s’occuper des autres, à se battre contre ses adversaires… Je serai plutôt devenue journaliste si ça n’avait pas marché comme comédienne : j’aime bien écrire et poser des questions !
Pourquoi avoir choisi le “rire” et le “faire rire” ?
Peut-être pour m’aider à supporter le monde. Les humoristes sont souvent des gens hypersensibles. Le rire c’est juste une manière de lutter contre cette dureté pour mieux la supporter. Je ne sais pas si on choisit vraiment de faire rire, on constate qu’on est capable de le faire. Et après il y a beaucoup de travail bien sûr mais au départ, il y a une facilité naturelle.
Vous montez sur scène depuis 30 ans et le succès est toujours à la clé… Votre humour, lui, a-t-il évolué ?
Mon humour a beaucoup évolué au fil du temps. Je continue de m’inspirer de tout ce qui se passe dans la vie quotidienne, mais cela fait plusieurs années maintenant que je traite davantage des problèmes sociaux et de politique dans mes spectacles. Le rôle de l’humoriste est de tendre un miroir à la société et de mettre l’accent surtout sur ce qui ne fonctionne pas. Je tiens à ce que dans chaque sketch, il y ait un petit message.
Peut-on encore rire de tout aujourd’hui ?
Oui, je pense que l’on peut rire de tout, après tout dépend de la manière d’aborder les choses, chaque humoriste a sa propre sensibilité, certains aiment provoquer et d’autre pas, dans tous les cas c’est à chacun de prendre ses responsabilités. Et puis le curseur bouge selon les époques. Dans les années 1990, le public était un peu puritain avec les blagues sur le sexe alors que maintenant plus personne ne s’offusque de rien. Ce qui compte surtout c’est d’être créatif, de se renouveler. J’essaie d’explorer des pistes inattendues pour me surprendre moi-même.
Quelles sont les principales sources d’inspiration de vos spectacles ?
Je m’inspire en partie de mes expériences personnelles mais le but n’est pas de raconter ma vie sur scène. Je discute beaucoup avec les gens, je regarde pas mal la télé, je passe beaucoup de temps sur le net pour m’imprégner de l’époque et ensuite j’écris. Je suis d’une nature curieuse donc je ne me lasse pas d’observer le comportement des gens.
Quelles sont les caractéristiques d’une blague qui fait mouche ?
Écrire un sketch c’est beaucoup de travail et il y a beaucoup d’ajustements à faire avant que tout ne soit fluide. C’est assez rigoureux et pas toujours drôle, un mot à la place d’un autre et les gens ne rient plus. En général, il faut beaucoup condenser les textes si on veut que la formule fasse mouche.
J’écoute aussi beaucoup les rires du public. Dans un spectacle, un rire doit tomber toutes les vingt secondes, c’est presque un travail d’horlogerie suisse.
« La trilogie du rire c’est la vérité, la souffrance et la surprise »
Vous arrive-t-il d’avoir peur de ne pas être drôle ?
Bien sûr ! Parfois, à la radio, je fais une chronique et je vois que ça ne marche pas comme j’avais prévu. Auquel cas, je coupe impitoyablement. Quand on fait un nouveau sketch pour la première fois sur scène, on est toujours surpris des réactions des gens même après trente ans de carrière. C’est comme un saut dans le vide sans parachute. Il m’est arrivé de supprimer des sketchs parce qu’ils ne fonctionnaient pas comme je le souhaitais.
Le stress vous envahit-il avant de monter sur scène ?
Ce n’est pas rien de monter seule sur scène pour faire rire les gens pendant une heure et demie, je suis parfois un peu tendue, mais je suis surtout très concentrée. L’avantage de l’expérience, c’est que je savoure davantage la scène, je suis moins dans le stress qu’avant. Mes outils pour me relaxer ? C’est mon portable: textos, mails, coups de fil, candy crush…
Pouvez-vous nous donner une ou deux clés pour faire rire ?
L’autodérision, déjà, me semble essentielle, à commencer par se moquer de soi au lieu de se moquer des autres. Ensuite, la trilogie du rire c’est la vérité, la souffrance et la surprise. La vérité parce qu’il faut oser être impudique, avouer ses faiblesses, révéler ce que les gens essaient de cacher. La souffrance parce qu’on ne fait pas rire avec le bonheur. Quand le public rit souvent c’est qu’il reconnait une chose qu’il a déjà vécue. Et la surprise parce qu’il est essentiel de surprendre le public, qu’il ne sache pas où vous allez dès que vous avez commencé.
Le rire a-t-il des vertus ?
Le rire est une émotion nécessaire pour évacuer ses angoisses, cela permet de prendre un recul indispensable avec les difficultés de la vie. Ca ne supprime pas les problèmes mais ça aide à mieux les supporter. Souvent les gens m’arrêtent dans la rue pour me dire « surtout continuez, on a besoin de rire ! ».
L’humour peut-il, selon vous, être un argument pour emporter l’adhésion ou convaincre ?
Oui mais cela ne suffit pas. On dit « femme qui rit, à moitié dans son lit » mais où est l’autre moitié ? Le rire, c’est un moyen de communication. C’est toujours plus agréable de discuter avec des gens qui ont de l’humour mais le règne de la dérision obligatoire peut être fatigant à la longue. Le rire c’est un vecteur mais le fond est primordial.
Plaisanterie mise à part, est-il vrai que « l’on ne nous dit pas tout » ? Comment vous est venue l’idée de la formule ?
Je ne saurais pas vous dire comment m’est venue l’idée de cette formule mais puisque vous me posez la question je crois que c’est bien que l’on ne sache pas tout finalement (rires). Avec internet et les réseaux sociaux, on sait déjà tellement de choses…
Cherchez-vous à faire passer un message à travers le rire ?
Les gens viennent pour rire pas pour que je leur fasse passer des messages. L’idée, c’est rions-en plutôt que d’en pleurer. C’est vrai qu’il y a une forme d’humanité derrière mon humour même si on ne fait pas rire avec des bons sentiments.
Vous dîtes que vous utilisez votre physique comme arme de communication… Qu’entendez-vous par-là ?
C’est un trait d’humour. J’ai pas mal abusé des blagues sur mon physique et maintenant que j’aborde la cinquantaine, je me sens plus sereine par rapport à ça et je n’ai plus envie de me dévaloriser comme j’ai pu le faire par le passé.
Est-il vrai que vous préférez les “petites” salles aux grands zéniths ?
J’aime beaucoup jouer dans des salles plus intimistes. J’adore la vie de tournée, aller à la rencontre du public. Il y a une proximité dans les petites salles qui est très agréable, on peut mieux savourer le plaisir de la scène. Dans les Zéniths, les gens vous voient grande comme une épingle. Cela dit, les grandes salles ça a un côté galvanisant, le public vous renvoie une telle énergie !
N’avez-vous pas envie, particulièrement ces derniers mois, d’attaquer les politiques pour concurrence déloyale ?
J’aurais pu … Mais tout cela n’est-il pas aussi un peu pathétique? Il y a une perte de crédibilité de la parole politique qui conduit à la montée des extrêmes.
Pour conclure, une petite anecdote “exclusive” à nous soumettre ?
En 1993, au théâtre de l’Européen, un bout de plafond s’est décroché lorsque je jouais mon spectacle. Heureusement, j’ai eu le réflexe de sauter dans la salle avant qu’il ne me tombe dessus. Le public pensait que ça faisait partie du spectacle, j’ai dû insister pour dire que ce n’était pas une mise en scène. Ça me fait sourire maintenant mais sur le coup, j’ai vraiment eu peur !
EN COULISSE
Votre héros ?
Le pape François
Votre meilleur souvenir ?
La naissance de mes filles.
Le pire ?
La mort de mon père…
Votre plus grande peur ?
Une guerre mondiale.
Ce qui vous irrite le plus ?
Les gens qui ne tiennent pas leurs engagements.
Ce qui vous console ?
Le chocolat !
Un prochain défi ?
Arriver à terminer le scénario de mon film.
Une grande cause ?
Le secours populaire.
Un vœu pour la France ?
Supportons-nous les uns les autres !
ADEKWA Avocats
Cabinet d’avocats
Lille – Douai – Valenciennes – Cambrai – Bordeaux