Hier, il quittait la vie politique. Aujourd’hui, toute son énergie se porte vers l’Afrique. Jean-Louis Borloo enchaîne les longs courriers pour réaliser un gigantesque chantier : électrifier l’ensemble du continent africain et lui permettre de rayonner comme jamais. Avec sympathie et modestie, l’ancien ministre et maire de Valenciennes nous raconte ce projet et s’arrête sur quelques instants marquants de son parcours. Entretien exclusif avec un homme engagé et passionné…
Interview À retrouver dans notre magazine AUDIENCE
Jean-Louis Borloo, vous vous êtes retiré de la vie politique en 2014 et vous êtes engagé dans de nouveaux défis. Quels sont-ils aujourd’hui ?
Depuis mon retrait de la vie politique, je me consacre et me dépense sans compter au Plan Énergies et Lumières pour Tous, particulièrement pour le continent Africain, à travers la fondation Énergies pour l’Afrique. L’énergie et la lumière pour tous, ce doit être notre objectif commun car c’est une cause noble et indispensable pour l’avenir de l’humanité. Ce sujet est maintenant posé dans le débat public international et même si nous n’avons pas la prétention, loin s’en faut, d’être ni les seuls ni les premiers, nous croyons à l’utilité de notre action et à la crédibilité de notre engagement, tant dans le fond que dans la forme.
Ce plan massif répond aux conséquences du dérèglement climatique dramatique pour l’Afrique et les autres pays vulnérables. C’est un enjeu de développement durable car l’Afrique a le plus grand potentiel d’énergies renouvelables du monde. Il s’agit également d’un enjeu de lutte contre la pauvreté et la précarité, et de réduction de la déstabilisation du continent africain avec toutes les conséquences pour le reste du monde. Enfin, c’est un enjeu de croissance mondiale car l’énergie permettra à l’Afrique une croissance soutenue qui bénéficiera au reste du monde : le dividende démographique.
Quelles sont les convictions qui vous ont amené à faire de votre engagement pour l’Afrique une priorité ?
Le constat est maintenant totalement partagé : l’Afrique, avec déjà 1,2 milliards d’habitants, devra nourrir, former, loger, guérir et employer un milliard de nouveaux habitants d’ici trente ans. À cette date, un quart des actifs de la planète seront africains, population la plus jeune du monde, un atout pour le continent mais aussi un défi redoutable. De 1950 à 2050, la population d’Afrique subsaharienne aura été multipliée par dix, passant de 180 millions à deux milliards d’habitants. Dans l’histoire de l’humanité, aucune région du monde n’a jamais eu à connaître une croissance démographique d’une telle magnitude. Les deux tiers de la population du continent, soit 650 millions d’Africains, n’ont pas d’accès à l’énergie et à la lumière alors que l’énergie permet l’accès à l’eau, à la santé, à l’éducation, à l’agriculture, à l’emploi de service et à l’emploi industriel, à la sécurité et à l’équilibre du territoire. Malgré des efforts de tous, notamment des dirigeants africains, dix millions d’Africains de plus par an n’ont pas d’accès à l’énergie.
Cette situation n’est tenable, ni pour l’Afrique, ni pour l’Europe, ni pour le reste du monde. Nous sommes à la croisée des chemins : un continent totalement électrifié sera un pôle de stabilité et de croissance majeur, à l’inverse la déstabilisation risque d’être extrêmement grave dans un continent où 700 millions de portables sont aujourd’hui utilisés et où l’information circule totalement.
J’ai la conviction que l’Afrique est le continent du XXIe siècle et qu’il peut devenir, grâce à son formidable potentiel en énergies renouvelables, le premier continent soutenable de l’Humanité. De nombreux voyages, de nombreux survols de ce continent plongé dans l’obscurité à la nuit tombée, de nombreuses rencontres, marquantes, émouvantes de sincérité, m’ont fait prendre conscience de l’incroyable défi que représente l’accès à l’énergie dont 650 millions d’africains sont dépourvus.
Vous l’avez dit, chaque année, ce sont dix millions d’Africains de plus qui n’ont pas accès à l’électricité. Comment expliquer un tel fossé entre nos pays, surabondés de lumière, et le Continent noir ?
Je le répète, ce sont non seulement dix millions d’Africains de plus par an qui n’ont pas accès à l’électricité, mais c’est surtout, aujourd’hui, 650 millions d’Africains qui n’ont pas accès à cette électricité. L’Afrique est notre continent frère et se trouve à seulement 14 kilomètres de l’Europe. Elle a une richesse qui est sa jeunesse, mais la dégradation de sa situation énergétique du fait de son expansion démographique se traduit par un véritable gâchis humain. S’y ajoute également le manque de financement, notamment de subvention, que les ressources publiques des États Africains ne permettent pas, tout comme le manque d’investisseurs dû au problème de soutenabilité financière et de rentabilité des projets.
« EN UN AN, J’AI PARCOURU
PLUS DE 700 000 KILOMÈTRES ENTRE
LA FRANCE ET L’AFRIQUE »
Comment parvenir à votre objectif, d’ici 2025, d’apporter l’énergie et la lumière à ces millions de personnes ?
Après une longue réflexion et beaucoup de travail à la demande des dirigeants africains, nous avons été amenés à faire une analyse des raisons objectives puis des propositions de solutions. Pour ce faire, nous avons rencontré la plupart des acteurs énergétiques du continent africain, bien entendu les ministres de l’Énergie, quasiment tous les chefs d’État en exercice chez eux dans leurs capitales, les financeurs publics bilatéraux ou multilatéraux, les agences de développement internationales, les opérateurs privés, les financeurs internationaux, toute la communauté concernée, y compris les partenaires indispensables : Commission européenne et Parlement européen, administration Obama et Congrès américain, et membres de gouvernement européens.
Le diagnostic est clair et a fait l’objet d’une note, Initiative Energies pour l’Afrique : « La lumière et l’électricité pour tous, un droit universel ». Le rapport de synthèse est simple : un plan massif d’électrification sur l’intégralité du continent africain, en zones urbaines comme en zones rurales est absolument vital. Il n’y a aucune difficulté technologique particulière pour y parvenir. Les raisons des difficultés sont connues et amènent à proposer une agence panafricaine, un outil dédié, disposant d’une équipe de haut niveau d’ingénierie publique au service des États africains et des projets en Afrique pour un plan massif d’énergies renouvelables doté d’une part de subventions permettant de rendre soutenable l’ensemble des projets. En effet des projets de toutes natures, de toutes les énergies sont prêts, les liquidités mondiales sont importantes, il manque la part d’ingénierie publique et surtout la part de subventions internationales que l’on peut estimer de l’ordre de cinq milliards de dollars par an pendant dix ans, permettant de mobiliser les vingt milliards de dollars par an de liquidités publiques et privées disponibles.
Quels sont, aujourd’hui, vos plus fervents soutiens ? Comment des personnes ou des entreprises peuvent-elles s’inscrire dans ce projet et sous quelle forme concrète ?
Tout d’abord, les chefs d’État et de Gouvernement africains. Vous savez en un an, j’ai parcouru plus de 700 000 kilomètres entre la France et l’Afrique. Cela m’a permis d’établir des relations privilégiées avec les chefs d’État et de Gouvernement africains, clés de la réussite du Plan Energies et Lumière pour Tous. Nous avons eu le privilège de bénéficier du soutien de la présidence de la République française et des institutions de la République, à de nombreuses reprises. François Hollande a fait l’honneur d’introduire le projet lors de la conférence de presse de lancement de la COP21, et de recevoir à cette occasion, en ma compagnie, des chefs d’État et de Gouvernement africains lors d’un déjeuner à l’Elysée. Conscient de la nécessité d’électrifier le continent, la France a permis, sur les recommandations d’Energies pour l’Afrique, l’ajout au texte de la COP21 du paragraphe sur l’énergie « considérant la nécessité de promouvoir l’accès universel à l’énergie durable dans les pays en développement, en particulier en Afrique, en renforçant le déploiement d’énergies renouvelables ».
Il y a également, l’Union Européenne que nous avons rencontrée à plusieurs reprises. De même, de nombreux acteurs économiques sont membres de la fondation et la soutiennent. Pour s’inscrire dans ce projet, chacun peut aller sur notre site web : www.energiespourlafrique.org.
D’un regard extérieur, l’on a souvent l’impression que le changement ne pourra guère venir des sommets des états mais plutôt de la société civile elle-même. Comment l’expliquez-vous ?
Toute politique de changement ne peut être conduite sans un travail d’analyse de diagnostic en profondeur, sans se contenter de phrases, de dénonciations de type « c’est la faute de » ou de slogans. Il faut aller chercher en profondeur les raisons du blocage ou de la faible performance. Souvent, une situation donnée est le fruit de décisions antérieures qui étaient pertinentes à l’époque où elles avaient été prises… Mais tout change, tout bouge et il faut s’adapter en permanence. À partir d’un diagnostic sérieux avec toutes les parties prenantes, un objectif peut être défini et une organisation humaine adaptée avec les moyens appropriés. En réalité il y a beaucoup de malentendus par défaut d’analyse en profondeur. Le changement est donc collectif même si à un moment ou à un autre il faut bien que quelqu’un assume la responsabilité et incarne l’objectif. C’est le rôle du politique.
« C’EST L’ABSENCE DU PROJET
CLAIREMENT IDENTIFIÉ
ET DE VISION QUI FAIT QUE
CERTAINS SONT DÉMOTIVÉS »
Quels sont les meilleurs souvenirs de votre parcours politique ?
Pour tout vous dire, ne me reviennent que de bons souvenirs. Dans la conduite de l’action publique, que ce soit à l’époque où j’étais Maire de Valenciennes, l’arrivée de Toyota, la construction du nouveau théâtre, de la bibliothèque, la rénovation urbaine, et plus globalement, la baisse du chômage. C’est également le plan de rénovation urbaine des banlieues françaises, le quasi doublement de la production de logements, la baisse du chômage, les services à la personne, le Grenelle de l’environnement… Bref, contrairement à une idée reçue, l’action publique peut être efficace à condition de fédérer tous les acteurs.
Avez-vous un souvenir émouvant ?
Plein de souvenirs émouvants… Oui, le regard de ces femmes dans des quartiers très difficiles dont on avait, à la fois détruit les barres qui encerclaient le quartier, réhabilité l’ensemble des logements et le sentiment que les mamans avaient repris le sourire et confiance en elles mais aussi le jour où, à 37 ans, les Valenciennois m’ont confié la mairie alors que je n’avais ni formation politique, ni parti politique, que je n’étais pas né à Valenciennes, que j’étais Parisien. Cet acte de confiance vous met une pression émouvante pour dix ans.
À l’inverse, avez-vous un vrai regret ou quelque chose que vous auriez aimé entreprendre ou dire si c’était à refaire ?
Quand vous êtes totalement engagé au service des autres, vous considérez toujours que toutes les actions que vous menez ne sont ni assez rapides, ni assez profondes, ni assez fortes. Cette envie de changer les choses n’est jamais parfaitement satisfaite…
« JE SUIS CONVAINCU
QUE L’AVENIR DE L’EUROPE
PASSE PAR L’AFRIQUE »
Quelles sont, selon vous, les qualités indispensables à détenir pour être acteur politique et les défauts incompatibles avec la fonction ?
La qualité principale est d’être heureux de servir les autres et ne jamais se contenter de réponses trop faciles pour expliquer des situations qui ne fonctionnent pas bien. C’est aussi accepter que l’action publique a des effets suffisamment lents pour ne pas en attendre de gratitude immédiate mais le faire, car c’est ce qui donne un sens à votre vie.
En 2002, vous écriviez Un homme en colère en mettant en cause le système et non les hommes. Qu’en est-il depuis ? Etes-vous toujours « colère » ?
Je continue à considérer que ce sont les systèmes qui ne sont plus adaptés, qu’il faut en chercher les raisons et les surmonter plutôt qu’un débat de mise en cause des hommes. Oui, je suis toujours en colère quand je vois notre incapacité à régler tant de situations inacceptables, notre génie à les dénoncer et le peu d’énergie discrète et en profondeur mis pour y parvenir.
Vous qui avez toujours travaillé en équipe : quels sont, pour vous, les qualités du collaborateur idéal ?
Tout homme, toute femme a envie d’être un collaborateur ou une collaboratrice idéale. C’est l’absence du projet clairement identifié et de vision qui fait que certains sont démotivés, voire pas dans l’action collective.
Que diriez-vous, en guise de conclusion, à tous ceux qui attendent de vos nouvelles et souhaitent savoir si d’autres objectifs vous taraudent ?
Je suis étonné du nombre de personnes dans la rue qui me demandent de mes nouvelles, des nouvelles de ma santé et qui m’adressent des messages très franchement affectueux ou en tous les cas chaleureux. Je suis un séquentiel. Je suis convaincu que l’avenir de l’Europe passe par l’Afrique, mais une Afrique qui a les moyens de son développement, c’est-à-dire disposant de l’énergie et qu’à défaut l’Afrique pourrait sombrer dans le drame, et l’Europe avec elle… Une Afrique éclairée, c’est une Europe heureuse.
Propos recueillis par Ghislain Hanicotte, Avocat Associé