par
Philippe SIMONEAU, Associé ADEKWA Avocats
&
Victor MOLLET, Dircom ADEKWA Avocats
Aussi flamboyant et éblouissant soit-il sur le plan de l’éloquence, l’avocat devrait également briller par son silence. Et pour cause : l’un des piliers sur lequel sa profession repose n’est autre que le secret…
« Tais-toi ! ». C’est ce que beaucoup ont eu envie de crier, parfois avec un langage infiniment plus fleuri, à l’attention de Me Randall Schwerdorffer, lorsque l’avocat pénaliste s’est lancé, le 30 janvier 2018, devant les caméras des chaînes d’information en continu, dans une stratégie de défense que d’aucuns ont jugé décousue et déconcertante. Pensait-il préserver Jonathann Daval, accusé du meurtre de sa femme, Alexia. Lorsque l’avocat de quarante-huit ans prend la parole, son client est encore présumé innocent et est toujours en garde à vue. Balayant selon certains toutes les règles de sa profession, Me Randall Schwerdorffer et son associée auraient livré des informations confidentielles. La machine médiatique est lancée. Les flots de réactions et d’interjections se succèdent et s’entrechoquent.
Me Randall Schwerdorffer et son associée vont tout lire, tout entendre sur leurs apparitions médiatiques. Et parfois du méchant, du très méchant : aux confins de l’amateurisme béat, de la négligence candide et de l’angoisse médiatique, les avocats inscrits au barreau de Besançon auraient trébuché. Dépassé par les soubresauts rocambolesques de cette affaire Daval, l’homme, carrure massive, chemise débraillée, cheveux dépenaillés, se serait fourvoyé. Il aurait brisé la loi du silence, celle du secret…
L’émoi et l’incompréhension se sont installés. Les citoyens et justiciables se sont exaspérés. Les avocats se sont estomaqués. Tout le monde est allé de son commentaire ! Les premiers, sur le terrain de la passion, exécrant le terme « accidentellement », employé avec sang-froid par l’avocat pour défendre son client, contestaient farouchement cette ligne de défense, entraînant même les vociférations d’une secrétaire d’État peu soucieuse du respect de la séparation des pouvoirs. Les seconds, sur le terrain de la raison, contestaient fermement les bavardages intempestifs d’un avocat, qui « essaie toujours de trouver des excuses à son client », en profitant pour entacher le crédit de toute une profession. Car, c’est bien connu, « pendant ce temps-là, Monsieur, on relaxe des terroristes ! ».
Le lendemain, l’avocat se justifiait, mollement, presque fièrement, plaidant la candeur provinciale face aux hordes de caméras de journalistes parisiens braquées sur lui, comme s’il avait dû s’exprimer sous le joug de la contrainte.
Qu’importe, cette mésaventure serait-t-elle advenue si l’intéressé avait respecté le secret imposé par sa profession ? Et quel secret ?
C’est l’article 11 du code de procédure pénale qui fixe le principe selon lequel « la procédure au cours de l’enquête et de l’instruction est secrète ». Qui est tenu au respect ? Ceux qui ont accès à l’instruction par leurs fonctions ou leurs professions (magistrats, greffiers, policiers et gendarmes, avocats, experts, interprètes). Ni la personne mise en examen, ni la personne victime, ni les journalistes n’y sont tenus. Le Procureur de la République possède aussi la faculté de rendre public des éléments objectifs tirés de la procédure afin d’éviter la propagation de rumeurs ou pour mettre fin à l’ordre public. Et l’avocat alors ? Si l’ordre public relève par définition de la compétence du Parquet, pourquoi l’avocat ne pourrait-il pas, lui aussi, s’exprimer pour éviter la propagation de rumeurs ?
L’article 2 du Règlement Intérieur National (RIN) de la profession d’avocat précise : « L’avocat est le confident nécessaire du client. Le secret professionnel de l’avocat est d’ordre public. Il est général, absolu et illimité dans le temps » Il est ainsi interdit à l’avocat de dévoiler les confidences et les secrets que lui a révélés son client. Ce devoir constitue le socle de la relation de confiance qui unit l’avocat et son client et du respect du droit à un procès équitable. Le texte ajoute que : « sous réserve des strictes exigences de sa propre défense devant toute juridiction et des cas de déclaration ou de révélation prévues ou autorisées par la loi, l’avocat ne commet, en toute matière, aucune divulgation contrevenant au secret professionnel ». Tout est dit, sauf à préciser que cela concerne toutes les matières dans lesquelles l’avocat intervient (divorce, commerce, pénal,…)
Ces caractéristiques sont cruciales pour permettre à l’avocat d’exercer pleinement son rôle : conseiller et construire une défense en s’appuyant sur les confidences de son client. L’avocat peut ainsi révéler ce qui est dans l’intérêt de son client et uniquement ce qui est dans son intérêt.
De plus, en matière pénale, l’avocat a d’autres obligations. L’article 2 bis du même RIN prévoit que : « l’avocat respecte le secret de l’enquête et de l’instruction en matière pénale, en s’abstenant de communiquer, sauf pour l’exercice des droits de la défense, des renseignements extraits du dossier, ou de publier des documents, pièces ou lettres intéressant une enquête ou une information en cours ». Il ne peut même pas communiquer des copies de pièces de la procédure pénale comme il le souhaite à son propre client car il est soumis à des obligations strictes fixées par l’article 114 du code de procédure pénale.
L’article 226-13 du code pénal sanctionne « toute révélation d’information à caractère secret » ; l’avocat contrevenant s’exposant à une peine d’un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende.
Plus qu’un impératif déontologique, le secret professionnel de l’avocat relève de l’intérêt public. C’est l’application du principe général du droit qui veut que toute personne trouve un confident qui gardera le secret absolu sur les révélations qui lui sont confiées. Comme le disait le juriste Emile Garçon, « le bon fonctionnement de la société veut que le malade voit un médecin, le plaideur un défenseur, le catholique un confesseur, mais ni le médecin, ni l’avocat, ni le prêtre ne pourraient accomplir leur mission si les confidences qui leur sont faites n’étaient assurées d’un secret inviolable ».
Hélas, quand l’avocat ne cède pas lui-même à la tentation, son secret est parfois remis en cause et affaibli. C’est notamment le cas avec la banalisation du recours à l’audition des avocats dans le cadre de leurs relations avec leurs clients. C’est encore le cas avec les mesures de perquisition effectuées au sein des cabinets d’avocats, mesures en théorie exceptionnelles, contraignantes et obéissant aux principes de nécessité et de proportionnalité, mais qui tendent à devenir courantes. C’est toujours le cas avec la recrudescence de retranscriptions d’écoutes téléphoniques incidentes dans le cadre d’enquêtes judiciaires. “Taisez-vous Messieurs les avocats, laissez nous écouter et prendre connaissance de ce qui nous intéresse !”.
En fait, le cas de Me Randall Schwendorffer est devenu un cas d’école pour l’école des avocats. Il pose beaucoup de questions de principes en termes de déontologie : peut-on devenir avocat de la défense d’un client qu’on représentait quelques heures plus tôt en qualité de partie civile ? Quid des secrets d’enquête dans un dossier où celle-ci apparaît immédiatement dans tous les médias ? Que dire ou ne pas dire face aux hordes de micros et de caméras ?
Certes, l’avocat est tenu au secret de l’enquête et de l’instruction. Pourtant il peut être amené, afin de préserver les intérêts de son client, à répondre à des médias qui, au demeurant sont parfois plus vite informés que lui… Quel est le secret imposé à des journalistes qui n’en ont pas et qui ont été eux-mêmes informés dans des conditions qui, en toute hypothèse, sont protégés par le secret inviolable des sources ?…
Comment respecter l’article 63-4-4 du code pénal qui impose, en matière de garde à vue, le silence total ? Tous les médias sont aux portes du Commissariat ! Pourtant le texte impose que : « sans préjudice de l’exercice des droits de la défense, l’avocat ne peut faire état auprès de quiconque pendant la durée de la garde à vue ni des entretiens avec la personne qu’il assiste, ni des informations qu’il a recueillies en consultant les procès-verbaux et en assistant aux auditions et aux confrontations ». Ce qui veut dire qu’au sortir d’une garde à vue, l’avocat doit presque en nier l’existence, et qu’il lui est interdit de dire quoique ce soit, même à la famille, aux proches, à l’épouse ou aux enfants… Alors à des journalistes !
Ce qui est encore plus complexe dans ce cas d’école est que Me Schwerdorffer aura eu connaissance de faits figurant dans le dossier en qualité de partie civile, avant de passer par le stade de la garde à vue puis de la mise en examen ; devenant alors un avocat de la défense…
A-t-il violé les règles du secret professionnel ? N’a-t-il pas fait que répondre aux questions dans un dossier où tout le monde, sans exception, s’exprime beaucoup, voire beaucoup trop ?
Il faudra retenir l’attitude et les réponses de Me Jean-Marc Florand, avocat des parties civiles, digne, tout autant que les parents d’Alexia.
Que reste-il de tout ce cafouillage : j’ai l’honneur de connaître Randall Schwerdorffer. C’est un avocat sérieux et compétent et un mec bien. Ne le blâmez pas. Laissons la justice travailler, sereinement. Dans une société surmédiatisée aux perfides accents de téléréalité, au cœur d’une démocratie qui, au moins en apparence, astreint à la transparence tout en contraignant chacun à la surveillance, le secret de l’avocat, aussi menacé qu’essentiel, invite chacun à se demander, souvent, quand et comment il peut être entendu…et écouter.
ADEKWA Avocats
Cabinet d’avocats