| par Etienne COLSON, Associé ADEKWA Avocats |
Avocat au Barreau de Lille
Il a toujours été permis de modifier un marché public sans avenant. Mais que l’acheteur public s’y risque par un simple courrier et la machine est lancée. Car, pour peu que le titulaire applique la modification ainsi formulée et tout retour en arrière se révèle impossible. Et l’on ne dit rien des conséquences d’un report des délais d’exécution par un acheteur en veine de rémission…
Il y a la règle, passablement formelle mais connue : lorsque les parties à un marché public décident d’y apporter des modifications, elles ont recours à un avenant.
Certes, la nouvelle règlementation des marchés publics ne fait plus référence à la notion d’ « avenant ».
Elle lui préfère celle de « modifications en cours d’exécution du marché » (article 65 de l’ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics et articles 139 et 140 du décret n°2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics).
Il n’empêche : si le mot n’y est plus, le procédé demeure autorisé voire encouragé par l’Etat lui-même (DAJ du ministère des finances, « Les modalités de modification des contrats en cours d’exécution », 11 juillet 2018).
Aujourd’hui comme hier, il est donc toujours loisible de recourir à un avenant.
Comme toute convention, celui-ci suppose l’accord des parties sur les clauses substituées.
Son objet est large. Entre autres, durée, prestations et règlement financier du marché pourront être modifiés.
Non sans limites, cependant.
Celles issues de l’article 20 du Code des marchés publics de 2006 ou des articles 139 et 140 du décret n°2016-360, selon que le marché a fait l’objet d’une consultation engagée ou d’un avis d’appel public à la concurrence publié avant ou après le 1er avril 2016. Ces limites s’entendent des interdictions de bouleverser « l’économie du marché », d’en changer « la nature globale » ou, depuis 2016, de franchir certains seuils.
Limites dérivées également du Code général des collectivités territoriales (CGCT), lesquelles subordonnent la signature par l’acheteur public de tout avenant à une autorisation donnée par l’assemblée délibérante.
Il s’agira d’une délibération ad hoc ou d’une délégation générale confiée à l’exécutif local (maires, présidents de département ou de région) en début de mandat (CGCT, L.2122-22, L.3221-11 et L.4231-8).
L’article L1414-4 du CGCT prévoit encore que tout projet d’avenant à un marché d’une collectivité territoriale, d’un établissement public local autre qu’un établissement public social ou médico-social entraînant une augmentation du montant global du marché supérieure à 5% doit être soumis pour avis à la commission d’appel d’offres lorsque le marché initial avait été lui-même soumis à ladite commission.
Les marchés passés à l’issue d’une procédure adaptée sont donc exclus de cette procédure.
Selon le juge administratif, « Il est toujours loisible aux parties de s’accorder, même sans formaliser cet accord par un avenant, pour déroger aux stipulations d’un contrat initial ».
La formule est connue, là encore.
L’exception qu’elle consacre n’étonne pas moins en même temps qu’elle inquiète quelque peu.
On en veut deux exemples topiques.
Dans une première espèce, le marché prévoyait que le décompte général pouvait être contesté dans le mois de sa réception.
En notifiant ce décompte, l’administration mentionnait, pourtant, un délai de contestation de deux mois.
Ce faisant, selon le Conseil d’État, le maître de l’ouvrage était réputé avoir renoncé à la clause contractuelle d’un mois.
L’entreprise titulaire du marché devait, quant à elle, être regardée comme ayant accepté cette modification dès lors qu’elle avait fait usage de ce délai de deux mois.
Sa contestation n’était donc pas tardive (CE, 23 décembre 2009, N° 306435, Sté Factobail SA ; dans le même sens TA Lille, 12 novembre 2010, n°0700145 ; CE, 20 février 2013, n° 362051, Min. Défense).
Dans une seconde affaire relative à un marché de travaux publics, une commune avait accordé à son cocontractant plusieurs reports de la date d’achèvement des travaux.
En prolongeant ainsi unilatéralement le délai d’exécution, la Haute assemblée devait juger que « la commune était réputée avoir renoncé à infliger des pénalités de retard » au titulaire du marché.
L’acheteur public ne pouvait donc plus en faire état dans le décompte général pour tenter de compenser les conséquences préjudiciables du retard de l’entreprise.
De nouveau, hors tout avenant, la commune intention des parties avait dérogé aux dispositions du contrat initial (CE, 17 mars 2010, Commune d’Issy-Les-Moulineaux, n°308676 ; CAA Nantes, 16 mars 2018, n°16NT03071).
Que faut-il en conclure ?
A notre sens, ceci.
En premier lieu, vu le formalisme qui s’attache à la passation des avenants, il peut sembler paradoxal que le Conseil d’Etat ne trouve rien à redire aux modifications informelles des marchés publics.
Pour un acheteur public, renoncer aux pénalités contractuelles n’est pas un geste anodin.
Les comptables publics ne l’ignorent pas qui, à cette occasion, à l’instar des juridictions financières, n’hésitent pas à formuler d’importantes réserves auprès des ordonnateurs.
Sans préjudice d’une éventuelle réaction du juge pénal qui peut y voir un délit de favoritisme…
En second lieu, et surtout, il n’est pas sûr que les acheteurs publics prennent toujours la pleine mesure des conséquences de leur comportement en cours d’exécution du marché.
L’arrêt Factobail précité le démontre à coup sûr : en reportant, sans autre précision, les délais d’exécution du marché, l’acheteur public n’a pas réalisé que, du même coup, il renonçait aux pénalités de retard.
Au moment où il a voulu en faire état dans le décompte général du marché, il était trop tard…
Malgré qu’on en ait, la position du juge administratif semble donc bien assise.
A ses yeux, la liberté contractuelle prime le formalisme.
Autrement dit, le comportement des parties peut être assimilé à une modification des stipulations contractuelles.
Dans ces conditions, on ne saurait trop conseiller aux parties à un marché public, et singulièrement aux acheteurs publics, d’être éminemment soucieux des implications juridiques de leurs décisions prises en cours d’exécution.
A nos yeux, la rédaction d’un avenant en bonne et due forme nous paraît hautement préférable car seule à même de prévenir l’ambiguïté qui naîtra, tôt ou tard, des modifications, pour ainsi dire « inconscientes », du marché.
Pour paraphraser le regretté Jean Lefebvre : « les diplomates ayant pris le pas sur les hommes d’actions, l’époque nous paraît être aux tables rondes et à la détente »[1].
Donc aux avenants.
[1] Les Tontons flingueurs, G. Lautner, 1963.
ADEKWA Avocats
Cabinet d’avocats
Lille – Douai – Valenciennes – Bordeaux