Travail et Entreprise : Droit à la déconnexion, de la loi au management (par Philippe Vynckier, ADEKWA Avocats Lille)

 

 

 

Alors que le sujet bouleverse et questionne l’ensemble des organisations, le droit à la déconnexion, entré en vigueur le 1er janvier 2017 et introduit dans le code du travail par la loi n°2016-1088 du 8 août 2016, dite “Loi Travail”, s’avère peu ambitieux et peu contraignant. Ce nouveau droit invite toutefois les entreprises à s’emparer de ce sujet (potentiellement explosif) afin de protéger l’ensemble de leurs collaborateurs contre le risque d’une connexion permanente et sans filtre.

C’est en premier lieu par la négociation collective que l’entreprise doit définir ce droit à la déconnexion. L’objectif ? Construire et établir des règles numériques de bonne conduite en phase avec les attentes et besoins réciproques de l’employeur et des salariés. Et c’est bien là que réside son principal intérêt.

 

 

 

ADEKWA Avocats Lille - Droit Déconnexion Loi Management - Philippe Vynckier

 

 

|  par Philippe VYNCKIER, Associé ADEKWA Avocats  |

Avocat au Barreau de Lille

 

 

Négociation. C’est par ce biais que le droit à la déconnexion doit en priorité être appliqué. Pour les entreprises de plus de cinquante salariés, la négociation annuelle “égalité professionnelle et qualité de vie au travail” doit désormais discuter des modalités du plein exercice par le salarié de son droit à la déconnexion et la mise en place par l’entreprise de dispositifs de régulation de l’utilisation des outils numériques, en vue d’assurer le respect des temps de repos et de congés (C. trav. Art. L 2242-8, 7°). Une problématique ô combien stratégique alors que la frontière entre la sphère professionnelle et la vie privée n’a jamais été aussi poreuse.

À défaut d’accord, l’employeur devra élaborer, après avis du comité d’entreprise, une charte pour définir les modalités d’exercice du droit à la déconnexion et prévoir, à destination des salariés et du personnel d’encadrement et de direction, des actions de formation et de sensibilisation à un usage raisonnable des outils numériques (C. trav. Art. L 2242-8, 7°). Il en va de même pour les entreprises dépourvues de délégués syndicaux. En filigrane, la préservation de la santé des salariés est largement suggérée.

 

Si l’intention première d’encadrer la surconnexion est louable, la loi ne donne malgré tout aucune définition claire et précise du droit à la déconnexion. Une large amplitude est ainsi laissée aux négociateurs, qui pourront choisir de mettre en place des mécanismes plus ou moins contraignants, plus ou moins innovants. Et pour aborder sereinement et efficacement ce questionnement, même si cela peut sembler paradoxal, il apparaît pertinent de s’interroger sur l’essence même de la connexion. Les psychologues du travail s’accordent pour le dire, la connexion n’est pas seulement technique : c’est une connexion au monde, aux autres, qui contribue au sentiment de reconnaissance de chaque individu. Un phénomène d’autant plus prégnant dans un contexte d’infobésité où il faut être présent et disponible à chaque instant  et en tous lieux.

 

Aussi indispensable soit-il, le droit à la déconnexion n’est que peu contraignant et s’érige avant tout comme une obligation de négocier. En effet, si Le non-respect de l’obligation de négocier est sanctionné pénalement par un an d’emprisonnement et 3 750 euros d’amende, l’employeur ne sera pas inquiété s’il ne parvient pas à un accord. Il en va de même s’il omet d’élaborer une charte. En effet, sauf à ce qu’elle prévoit des sanctions à l’encontre des salariés, auquel cas elle pourra être considérée comme une annexe au règlement intérieur, une charte ne recèle aucune force juridique. L’employeur a donc tout intérêt à rechercher la signature d’un accord plutôt qu’à la conclusion d’une charte.

Et si cette absence de sanctions pourra dissuader les entreprises les plus récalcitrantes à engager des négociations ou à plancher sur la rédaction d’une charte, faire preuve de légèreté sur ce volet n’est pas sans danger. Car si un salarié intente un procès à son employeur pour burn-out et que ce dernier n’a établi aucune politique de prévention visant à réguler les pratiques numériques, il risque bien de se retrouver en fâcheuse posture devant le juge. Dans cette même optique, même si l’article L 2242-8 du code du travail ne prévoit pas l’intervention du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), il apparaît plus qu’imprudent de le blacklister sur ce sujet. Ledit comité contribue en effet « à la prévention et à la protection de la santé physique et mentale des travailleurs et à l’amélioration des conditions de travail » (C. trav. Art. L 4612-1).

 

 

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Le code du travail a été promulgué en 1910, puis repensé en 1973, deux époques où la relation de travail ne se déroulait que dans un seul et même lieu, et, naturellement, où les appareils informatiques n’étaient pas légion. L’apparition du numérique a bouleversé les pratiques et entraîné une large redéfinition du temps et de l’espace dans le monde de l’entreprise. Les nouveaux salariés d’aujourd’hui, et a fortiori ceux de demain, sont nés avec les technologies. Et pour beaucoup, le sentiment de ne jamais quitter vraiment leur travail est grandissant. Limiter le nombre d’heures travaillées était simple il y a encore quelques années : il suffisait d’imposer des horaires plus courts. Mais la nature ininterrompue et souvent addictive de nos communications en ligne contemporaines rend les choses plus compliquées.

 

Une connexion permanente avec l’environnement de travail est un facteur de stress. Une surcharge de travail, subie ou consentie, peut entraîner de graves conséquences sur le plan de la santé. En 2015, la revue médicale The Lancet a chiffré ce risque. Après avoir observé 600 000 personnes en bonne santé sur trois continents, pendant huit ans, le résultat est éloquent : par rapport à un travail hebdomadaire de 35 à 40 heures, les risques d’AVC augmentent de 10% lorsqu’il atteint 41 à 48 heures et de 27% lorsqu’il est porté entre 49 et 54 heures. Au-delà de 55 heures, le risque de faire un AVC croît même de 33%…

 

Il convient toutefois de discerner différents cas de figure. Pour certains, la charge de travail est telle qu’elle requiert une connexion en dehors des heures habituelles de travail. Pour d’autres, l’addiction à la technologie relève de la pathologie. Enfin, pour quelques-uns, il s’agit-là d’une opportunité d’aménager son agenda différemment et plus efficacement et gagner en flexibilité. Travailler en situation de mobilité, depuis sa propriété ou dans tout autre lieu extérieur à l’entreprise ne signifie pas pour autant travailler plus. C’est travailler autrement, différemment, ni forcément mieux ou moins bien par essence. Les cas de figure sont donc multiples et l’entreprise doit veiller à distinguer ses différents salariés connectés et différencier déconnexion technique et déconnexion émotionnelle réelle. Seule cette dernière peut s’avérer véritablement libératrice. Savoir se déconnecter est ainsi une compétence qui se construit individuellement et s’entretient collectivement, avec le concours d’un management bienveillant. Mettre à disposition du salarié une technologie non plus pour surveiller et punir mais pour tenter d’allier puissance, performance et polyvalence.

 

En la matière, la jurisprudence est d’ailleurs très claire et a jusqu’alors toujours choyé le salarié. Dans un arrêt du 17 février 2014 (n° 01-45889), la Cour de cassation avait ainsi déjà consacré le droit à la déconnexion, en dédouanant le salarié : « le fait de n’avoir pu être joint en dehors de ses horaires de travail sur son téléphone portable personnel est dépourvu de caractère fautif et ne permet donc pas de justifier un licenciement disciplinaire pour faute grave ». De la sorte, nul ne peut être sanctionné, voire licencié, parce qu’il s’est abstenu de répondre à un appel ou un courriel en dehors de ses heures de bureau.

 

 

 

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La digitalisation et la numérisation de notre société comme le  phénomène d’ultra-connexion n’étant pas un phénomène tout à fait nouveau, nombre d’organisations n’ont pas attendu le 1er janvier 2017 pour interroger leurs process numériques et établir, avec plus ou moins d’efficacité, quelques régulations. En point de mire, un objet cristallise particulièrement les tensions : le mail. Depuis 2011, Volkswagen a ainsi décidé de bloquer ses serveurs le soir et le week-end, empêchant aux salariés d’accéder à leur boîte mail entre 18h15 et 7h, et ce, sept jours sur sept. Une pratique qui ne concerne toutefois que 1 150 des 190 000 collaborateurs que compte le groupe. Le site Price Minister a lui mis en place en 2015 le mailess friday morning qui, comme son nom l’indique, suggère de n’envoyer aucun mail chaque vendredi matin. En 2016, la ville de Saint-Sébastien-sur-Loire, avait de son côté imposait trois journées sans mail : les agents de la mairie ont ainsi constaté une baisse de 75% de courriels reçus durant cette période…avant de devoir faire face à un pic jamais atteint le lendemain ! Encore balbutiantes, ces pratiques ne brillent pas par leur efficacité. Elles apparaissent surtout inapplicables à grande échelle et pour chaque échelon de l’entreprise.

 

Aussi imprécise et évasive soit-elle, cette invitation à la déconnexion instaurée par le législateur français demeure une première mondiale. Et bien qu’il n’entraîne aucune révolution d’ampleur, nombre de médias et éditorialistes étrangers s’en sont émus. « Encore plus de raisons d’apprécier la France en ces temps de changement. La France laisse les travailleurs débrancher, et vivre leur vie ! », s’est enthousiasmé un journaliste du New York Times.   

 

 

 

L’enjeu est juridique mais aussi et surtout managérial et relève autant du bon sens que de la pédagogie, de la formation et de la responsabilisation des utilisateurs. L’on peut déplorer le recours à l’État et au cadre législatif pour instaurer un usage raisonné des outils connectés et juguler les excès mais l’enjeu est de taille.

Le principal écueil réside dans le fait qu’il existe presque autant de pratiques numériques que d’entreprises. L’esprit de la loi consiste in fine à réguler la culture informationnelle et managériale de l’entreprise à travers le dialogue social et à questionner en interne les notions de flexibilité, d’évaluation, de présentéisme ou encore de reconnaissance du travail.

Il revient ainsi aux entreprises, à leurs hommes forts et à leurs partenaires sociaux, de s’approprier cet outil juridique, plus symbolique que révolutionnaire.   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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